Veules [1], 9 septembre [18]79, mardi matin, 10 h.
Bonjour, mon doux adoré, sois béni d’avoir passé une bonne nuit, de te bien porter et de m’aimer un peu, moi, qui ne vis que pour toi et par toi. Le temps est un peu agressif ce matin mais j’espère qu’il s’amendera d’ici à tantôt et que nous pourrons jouir encore une fois du haut de ta place de la belle vue de la grande mer en compagnie de nos chers et charmants hôtes. Il nous en coûtera, je le sens déjà, de quitter cette douce vie reposante, amusante, bienfaisante au corps et à l’esprit pour reprendre la vie fatigante et excitante de Paris. Heureusement que tu rentreras en même temps en possession de tes deux chers petits-enfants, Georges et Jeanne [2]. J’espérais pour toi une bonne petite lettre d’eux ce matin mais il n’en est pas venu. Ce sera probablement pour ce soir car il y a la poste deux fois par jour dans ce bon petit pays du bon Dieu. Pour le moment tu as déjà reçu trois lettres pour ta part. Une du cercle Franklin du Havre [3], cercle des ouvriers, ils sont douze cents ; on te supplie de consacrer une heure de chemin de fer pendant que tu seras à Villequier pour permettre à ces douze-cents travailleurs de t’exprimer leur admiration, leur vénération, leur reconnaissance et leur dévouement. Je ne sais pas, le voisinage étant donné, comment tu feras pour les refuser. Heureusement que tu as deux bons conseillers dans tes admirables amis Meurice et Vacquerie pour t’aider à résoudre la question si besoin est ! Moi je t’adore je ne suis bonne qu’à cela.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16400, f. 217
Transcription d’Apolline Ponthieux assistée de Florence Naugrette