21 juin [1841], lundi « soir », 5 h. ¾
Merci toi le meilleur, le plus doux, le plus généreux et le plus charmant des hommes. Merci du fond du cœur, merci pour les trente-deux premières lettres de ton écriture, si bonnes et si galantes. Merci encore pour les trente dernières, si espiègles et si épigrammatiques, et mon cœur et mon âme pour les deux initiales qui terminent cette ravissante dédicace à la plus maussade, à la plus laide, à la plus vieille et la plus grognon des femmes, mais aussi à la plus tendre, à la plus dévouée, à la plus fidèle et à la plus passionnée des amantes [1]. Merci mon cher ange, merci, tu es mon Victor toujours plus sublime et toujours plus adorable.
Croirais-tu, mon adoré, que je n’ai pas encore eu le temps de me débarbouiller depuis tantôt ? Et pourtant, excepté le petit bêchage de mon jardin, je n’ai pas pris une seconde de répit. J’ai reçu et rangé mon linge blanc, compté et raccommodéa mon linge sale. J’ai en outre écritb à Mme Pierceau, qui doit voir Eulalie demain, de lui dire de mettre d’autres boutons à tes caleçonsc moins coupantsd des bords, et en cuivre étamé au lieu de fer battu parce qu’au blanchissage tous ces boutons onte fait des taches de rouille, ce qui n’est ni beau, ni propre, ni économique [2]. Enfin, mon amour, je suis encore dans ma crasse quoique je sois levée depuis longtemps et que je sois censéef ne rien faire. Je t’aime. Je suis une vieille méchante mais je t’adore à deux genoux. Viens de bonne heure ce soir.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 271-272
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « racommoder ».
b) « écris ».
c) « calçons ».
d) « coupans ».
e) « on ».
f) « sensé ».