13 avril [1841], mardi après-midi, 4 h.
Je suis accablée par le mal de tête, je ne sais pas que devenir, mon pauvre bien-aimé. C’est fort triste d’être en proie continuellement à cette hideuse infirmité, le jour où je ne souffrirai plus de cela je serai bien heureuse. En attendant, je suis stupide et insupportable à toi et à moi, je le sens sans pouvoir y remédier. La seule excuse que je me donne à moi-même c’est que ce n’est pas ma faute. J’ai refusé le spectacle ce soir parce que je me sens incapable d’aller m’enfermer pendant deux ou trois heures dans n’importe quel théâtre et puis toute réflexion faite, Claire est trop prèsa de sa première communion [1] pour la mener au spectacle, même à MONSIEUR Fouilloux. Je viens de lui donner tes 3 F., ce qui va lui mettre du baumeb dans ses épinards demain [2]. Nous la reconduirons [3] et voilà, c’est bien assez de plaisir comme ça.
Tiens, je viens de faire la grande ourse, la petite ourse, la lune et le soleil sur mon papier, ça n’est déjà pas si maladroit pour une pauvre Juju qui n’a aucune prétention à l’astronomie [4]. Si c’était vous, à la bonne heure, vous feriez toutes les constellations, les lunes et les demi-lunesc et tout le firmament avec les DISTANCES marquées en chiffres. Ia, ia monsire MATAME, il est son SARME, baisez-moi, vieux brigand.
Je viens de résister à une fameuse tentation tout à l’heure en ne fourrantd pas mon nez jusqu’à la garde dans vos gribouillis. Je me suis seulement permise le manuscrit de la femelle Népomucenie mais j’ai bien vite secouéf mes pattes et mes moustaches comme un chat qui goûteg à de la lessive. Pouah, ce sirop d’académicien, ce jus de mort vous fait venir le cœur sur les lèvres [5]. J’aime mieux votre élixir de longue vie, chacun son goût. Baisez-moi encore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 45-46
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « prêt ».
b) « beaume ».
c) « demies lunes ».
d) « fourant ».
e) « permise ».
f) « secouer ».
g) « goutte ».