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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 avril 1841

8 avril [1841], jeudi après-midi, 1 h. ¼

Merci mon cher bien-aimé, merci des adorables lignes que tu m’as écrites sur mon livre cette nuit, merci de tenir autant que moi aux bonnes et tendres habitudes de notre amour [1]. Merci, merci, je t’aime, tu es mon soleil, ma religion, ma vie et mon âme.
J’ai été bien souffrante cette nuit, mon pauvre bien-aimé, et je n’ai commencé à être soulagée que ce matin vers les huit heures après avoir bu une tasse de thé. Cela m’a cependant duré jusqu’à onze heures et puis j’ai pu me reposer un peu, ce qui ne m’empêche pas d’avoir la tête et l’estomac brisés. Je me lèverai pourtant tout à l’heure, quitte à me recoucher après mon ménage fait. D’ailleurs, il m’est arrivé divers accidents drôlatiques et foiritiques qui m’obligent à me lever bon gré mal gré. Je vous ai donné dans cette seule matinée une revanche pour toute une année d’accidents pareils, ainsi frottez-vous les mains et RIEZ, je vous le permets pȎlisson. Ia, ia monsire matame, IL EST SON SARME. Baisez-moi, vieux scélérat, baisez-moi et aimez-moi, je le veux de toutes mes forces.
Je ne reçois pas de réponse à la lettre de mon pauvre père, je crains qu’il ne soit plus mal [2]. Si ce silence continue je récrirai encore. Je t’aime mon Toto bien-aimé, tu es ineffablement bon et doux, tu es sublimement beau et noble. Je t’aime, je t’admire et je t’adore. Merci, mon généreux homme, d’avoir pris sur tes pauvres yeux fatigués la force de m’écrire les ravissantes et adorables lignes de cette nuit.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 29-30
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette


8 avril [1841], jeudi soir, 6 h. ¼

Voilà une journée bien longue et bien triste d’écoulée sans t’avoir vu un seul pauvre petit moment, mon adoré. Je ne grogne pas, je t’aime. Je souffre aussi mais j’espère que je vais être bientôt soulagée à cause de la chose qui m’est arrivée tantôt mais en attendant je suis dans un état hideux et blaireux peu appétissant. Lafabrègue est venu apporter les souliers et les brodequins de Claire et de moi [3], je lui ai dit d’envoyer samedi chercher son argent avec les souliers de cet hiver qui n’ont pas été payés et les 10 F. acompte. Cela fera en tout 50 F. 70 sous pour sa seule part plus 21 F. à Penaillon et 90 F. de créanciers [4], c’est-à-dire 160 F. d’ici à deux jours dans la dépense de la maison. Je suis sans le sou et j’attends après toi pour acheter de l’huile à brûler. C’est vraiment effrayant, surtout quand je pense à la manière dont tu gagnes cet argent, mon pauvre adoré. À quoi puis-je être bonne, mon Dieu, puisque tu ne veux pas me donner ma part de peine, de fatigue et de travail ? Ce serait cependant bien juste et tout le fardeau ne serait pas sur toi, mon cher bien-aimé. Je t’aime, je t’aime mon Victor adoré. Je vais encore relire mon cher petit livre rouge, je t’adore mon Toto.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 31-32
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Juliette conserve précieusement le moindre petit « mot » que Hugo lui écrit, le plus souvent à l’occasion des anniversaires, dans un petit dossier, le Livre rouge. À ce moment, depuis plusieurs jours, elle était en attente d’un mot pour marquer la date d’anniversaire de Hugo, qui fait manifestement débat entre eux : « 7 avril 1841, une heure et demie du matin, / Tu as raison, ne perdons pas les douces habitudes. Rapprochons nos bouches quand nous nous parlons pour mêler nos haleines encore plus que pour entendre nos paroles ; car les paroles viennent parfois de l’esprit, il semble que les haleines viennent toujours de l’âme. (Pourtant, mon ange, quand je te parle, crois-moi bien, c’est tout moi qui te parle.) Ȏtons nos gants quand nous nous prenons les mains, appuie ton cœur sur moi en marchant. Regarde le paysage avec mes yeux et fais-le moi voir avec les tiens. Et puis aimons-nous ! aimons-nous ! gardons toutes les douces habitudes. Pauvre chère adorée, tu remplis mon cœur. Je t’aime plus que jamais. J’admire et je vénère la beauté charmante de ton visage et la beauté touchante de ta vie. Tout maintenant est complet en toi. Ton front est éclairé d’un reflet de ton âme. Dans deux cents ans, si une femme fait le soir en passant à son amant la question que tu me faisais tout à l’heure : pourquoi ce nom, rue de la Perle ? – il répondra : C’est que Juliette a demeuré près d’ici » (Correspondance de Juliette Drouet et Victor Hugo, dans Victor Hugo, Œuvres complètes, édition chronologique publiée sous la direction de Jean Massin, Paris, Le Club français du livre, 1967-1970, p. 1284).

[2L’oncle de Juliette, René-Henry Drouet, est hospitalisé aux Invalides, très malade, mais sa seconde épouse, une dame Godefroy, lui donne des soins et envoie régulièrement par lettre de ses nouvelles à Juliette.

[3Juliette fait préparer pour sa fille, à l’occasion de Pâques, des vêtements, un chapeau, et de nouveaux brodequins.

[4Tous les dix du mois, des créanciers comme le tapissier Jourdain, Lafabrègue ou l’homme de Gérard viennent récupérer les sommes qu’on leur doit.

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