7 janvier [1841], jeudi, 9 h. ½ du matin
Bonjour, mon Toto chéri, bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour toi que je n’ose pas encore qualifier tant je me défie de la probité du vieux Dupaty [1]. J’espère que tu ne me feras pas attendre trop longtemps pour savoir le résultat des votes enragés des deux camps [2] ? Cela devient de plus en plus curieux et plus intéressant. Je donnerais volontiers deux sous pour être déjà à quatre heures ce soir.
Il fait un temps peu propice pour le vieux gredin de moribond, il serait difficile de le faire descendre par la fenêtre et encore plus difficile de le transporter là où je ne le souhaite pas [3]. Si le compte est juste, l’agonie de ce misérable te donne l’Académie d’emblée à la majorité d’une voix au premier tour du scrutin [4]. Mais la pierre d’achoppement n’est pas dans le nombre, peut-être cette fois elle est dans l’ignoble cervelle qui grouille sous le sale et hideux bonnet gras de l’affreux Dupaty. Je voudrais être à tantôt pour savoir ce qu’aura osé faire cet immonde bonhomme. D’ici là, je vais bien des fois regarder ma pendule. Tâche, mon amour, de venir tout de suite me dire le résultat, quel qu’ila soit.
J’aurai le plaisir de te voir dans tous les cas, ce qui ajoutera bien de la joie à ta nomination et me consolera tout à fait de ta défaite.
À propos, tu étais fait comme un voleur cette nuit [5], on aurait dit que tu te préparais à lutter de toilette avec le vieux filou de Dupaty. Je te pardonne ce débraillage si tu réussis. Je t’aime [6].
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 17-18
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
[Guimbaud]
a) « quelqu’il ».
7 janvier [1841], jeudi soir, 6 heures [7]
Je suis bien contente pour tout le monde, mon cher Académicien, que vous soyez enfin nommé. Vous voilà donc un homme assis, en attendant que vous soyez un homme rassis, ce qui n’arrivera pas demain je vous en réponds, au train dont [vous] remontez le fleuve de la vie. Vous êtes beaucoup plus jeune que lorsque je vous ai connu, de l’aveu de tout le monde. Enfin, grâce à vos dix-sept voix amies, et malgré les quinze groins de vos adversaires, vous voilà académicien. QUEL BONHEUR !!!!!!! [8]
Je regrette de n’avoir pas vu de mes yeux la grimace de tous ces vieux pleutres, y compris la profession de foi de l’affreux Dupaty . Pour me consoler vous devriez m’apporter à voir et à baiser votre ravissante belle tête, un peu plus de cinq minutes comme tout à l’heure. Je vous aime Toto, comme le premier jour et plus que jamais. Mais, hélas ! je n’ose pas en croire autant de vous car je n’en vois guère les expériences, comme dirait ma servante. Le fait est qu’académicien, ou candidat, ou rien du tout, je ne vous vois guère plus d’une heure par jour l’un dans l’autre. Ça n’est pas neuf ni consolant, mais c’est de plus en plus triste et douloureux. Pensez à cela mon amour et venez très tôt après avoir lu ma lettre. Je vous aime.
Juliette
Collection particulière, Les Collections Aristophil, n° 25 (étude ADER, Th. Bodin expert), Drouot-Richelieu 21 novembre 2019, n° 972
Transcription de Florence Naugrette
[Guimbaud]