Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1849 > Mai > 12

12 mai 1849

Samedi 12 mai [1849], 7 h. du matin

Bonjour, mon cher amour adoré, bonjour. Tu ne peux pas te figurer combien j’ai regretté de n’avoir pas dîné chez moi hier quand j’ai su en rentrant que tu étais venu pour me voir. Dans ce moment-là, j’aurais donné tout au monde pour pouvoir reprendre ma soirée à la condition de te voir tout de suite. J’aurais désiré aussi voir ce brave père Cacheux qui était venu évidemment pour ton élection. Décidément je n’ai pas de chance pour une pauvre fois par-ci par-là que je m’absente de chez moi, c’est justement ces jours-là que tu viens. Du reste, mon plaisir s’est borné à regarder Eugénie faire sa cuisine. Nous nous sommes mises à table à 8 h ½. Je suis rentrée chez moi à 10 h et depuis ce temps-là je souffre de ma douleur d’épaule gauche à ne pas pouvoir respirer. Cependant, je ne souffre pas d’ailleurs, c’est une grande gêne mais voilà tout. La mère Sauvageot, que j’ai vuea hier, me disait que son mari lui avait affirmé que tu étais sur toutes les listes, à l’exception de la liste rouge, et que tu serais réélu à une immense majorité [1]. Vilain a apporté hier la même liste que celle que tu as apportée à la maison que lui avait remis Landelle le peintre avec un paquet de petits bulletins de la Société des artistes recommandant ta candidature à tous les gens de bien. Jusqu’à présent tout paraît en faveur de ton élection. Mais je n’ose pas m’en réjouir.

Juliette

MVHP, MS a8201
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

a) « vu ».


12 mai [1849], samedi matin 11 h.

Je n’ai pas encore pris mon parti sur l’occasion manquée hier de te voir un moment. Si j’avais pu prévoir que tu viendrais, rien n’aurait pu me décider à sortir de chez moi, d’autant plus que hors toi, tout m’est indifférent pour ne pas dire ennuyeux. Ensuite, je n’aurais pas été fâchée de voir le bonhomme Cacheux qui venait pour l’élection sans aucun doute. Aujourd’hui, dès que je t’aurai quitté, j’irai chez les Lanvin et chez Jourdain, je suis sûre que je leur ferai plaisir. Déjà j’en ai remis – bulletins – quelques-uns à la mère Sauvageot qui s’est engagée à les bien placer. Quant à Vilain, il en a déjà un paquet énorme qu’il tient de Landelle donc il serait inutile de lui en donner d’autres avant qu’il n’ait placé ceux-là. Du reste, l’agitation est assez grande parmi les [ouvriers qui passent  ?] sous mes croisées. Dans ce moment-ci même on y crie le peuple la troisième saisie et les massacres d’Italie, tout cela m’inquiète et me fait craindre avec une égale terreur, que tu sois ou que tu ne sois pas réélu. Je voudrais être bien loin avec toi au risque d’être une médiocre patriote. Je t’aime, voilà mon opinion, je t’adore, voilà ma patrie, le reste m’est égal comme deux républiques.

Juliette

MVHP, MS a8202
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine


12 mai [1849], samedi soir, 10 h.

Encore une heure d’attente, mon cher adoré, et j’aurai perdu tout espoir de te voir ce soir. Je ne t’en fais pas un reproche, mon bien aimé, car je sais que tu t’appartiens moins que jamais [2]. Ce dont je te supplie, c’est de penser à moi, de me plaindre et de m’aimer du milieu de tes occupations. Lanvin a dû retourner chez toi à 8 h. dans le cas où il aurait placé les listes que je lui avais portées et où il aurait cru pouvoir en placer d’autres avec certitude. Du reste, en face de chez moi, dans cet affreux petit bouge qui a nom : à la maison verte, une espèce de monsieur se tenait sur la porte et remettait à tous les ouvriers qui passaient, et il ne passe que cela, des bulletins rouges. Quant à moi, j’ai eu tantôt l’occasion de manifester mon opinion. Passage Jouffroy, un homme distribuait des listes rouges et il m’en a remis une, je la lui ai déchirée au nez. Du reste, cette héroïque profession de foi n’était pas la seule qui avait eu lieu avant la mienne car le passage était littéralement obstrué de ces mêmes listes déchirées, salies et foulées aux pieds. Je ne sais pas ce qui sortira de l’urne électorale mais en attendant, voilà ce que j’ai vu aujourd’hui sur différents points une bonne nouvelle encore. C’est que la cholérique de ma maison est sauvée. Le médecin en répondait ce soir. Maintenant, j’aurai moins de scrupule à te prier de venir et je t’attendrai avec moins d’anxiété à l’avenir. En attendant, je vois qu’il faut que je me couche tristement, sans avoir eu le bonheur de te baiser une pauvre fois dans la journée, ce qui est bien chesse.

Juliette

MVHP, MS a8203
Transcription de Michèle Bertaux et Joëlle Roubine

Notes

[1Les élections législatives auront lieu le 13 mai 1849. Hugo y sera élu 10e avec 117 069 voix.

[2Les élections législatives auront lieu le 13 mai 1849. Hugo y sera élu 10e avec 117 069 voix.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne