Guernesey, 28 juin [18]63, dimanche, 4 h. du soir
Je ne veux pas sortir de la maison sans laisser derrière moi ce témoignage de mon [cœur ?] écrit qui reconnaît que tu es le meilleur et le plus doux des hommes comme tu en es le plus grand et le plus sublime. J’ai le droit et le devoir de le dire, hélas ! moi qui metsa si souvent ta bonté et ta patience à l’épreuve par un excès d’amour poussé jusqu’à la férocité et à la folie. Je t’aime trop, mon pauvre adoré, et je ne peux pas t’aimer moins. Dans cette extrémité, que faire ? pourvu que tu n’en souffres pas !
7 h. ½
J’en étais restée à ce point d’interrogation quand tu es venu me prendre pour aller sur la montagne. Me voilà de retour et je n’ai pas encore trouvé d’autre réponse à ma question sinon que je t’adore et que je ne veux pas autre chose. Si cela ne suffit pas, mon pauvre adoré, je ne sais plus que faire. Mais j’espère que, comme la lance d’Achille [1], mon amour saura guérir le mal qu’il te fait. Je m’y appliquerai de toutes les forces de mon âme. Je crois que j’entends ta Marie qui bavarde avec Suzanne probablement de l’incident sergent de ville [2] qui doit l’intriguer beaucoup. Je regrette de n’être pas là pour savoir les questions et les réponses. Du reste je vais descendre bientôt car mon dîner m’attend et il faut que j’aie fini pour quand tu viendras avec Mme Chenay ou sans elle. Mon adoré, je finis comme j’ai commencé en t’aimant.
BnF, Mss, NAF 16384, f. 170
Transcription de Gérard Pouchain
a) « met ».