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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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3 février [1836], mercredi matin, 10 h.

Bonjour mes chers petits hommes, comment allez-vous ce matin, mes bons petits amis ? Avez-vous un peu dormi au moins, vous trouvez-vous mieux ? Moi, j’ai fort peu dormi et bien mal dormi, préoccupée que j’étais par la pensée que vous étiez tous les deux souffrants. J’ai rêvassé toute la nuit en me réveillant d’heure en heure, croyant toujours entendre la porte s’ouvrir. C’est la première fois que je redoute de te voir au milieu de la nuit. Enfin, j’espère qu’il n’est rien arrivé de fâcheux puisque tu n’es pas venu, mon pauvre bien-aimé, et j’espère aussi que tu te seras reposé un peu cette nuit. Cependant je voudrais te voir, je serais plus tranquille. Si tu savais, mon Toto adoré, je t’aime avec le cœur, avec les entrailles. Je t’aime dans toute l’acception du mot : je t’aime.
Je vais me lever et faire mes affaires et puis je serai bien triste si je ne te vois pas avant ce soir, parce que malgré moi je croirai que c’est que ton pauvre petit ange est plus malade. Tâche de faire tout ton possible pour venir, ne fût-ce que cinq minutes, pour me dire comment vous allez et comment vous avez passé la nuit tous les deux.
En attendant, mon cher petit bien aimé, je vais bien penser à toi, je vais bien travailler et bien t’aimer. Toi, soigne-toi bien, ne te fatigue pas et aime-moi un peu.
Je baise vos quatre petits pieds et toutes vos petites mains blanches et roses.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 63-64
Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa


3 février [1836], mercredi soir, 8 h. ¼

Si je t’ai fait de la peine, mon bien aimé, je t’en demande pardon doublement car je reconnais que tu es dans une position déjà triste et qui demande des ménagements surtout de moi. D’ailleurs, je ne sais pas pourquoi j’ai laissé échapper une plainte quelconque sur ma manière de vivre plutôta aujourd’hui qu’hier ; ma position, je l’accepte sans aucun regret, ainsi je n’ai pas de raison pour revenir sur une résolution que toi seulb pourrais détruire. Je crois m’apercevoir que tu m’aimes moins, je crois même en être sûre d’après toutes les impatiences qui t’échappent comme malgré toi, et puis par d’autres signes encore et qu’il serait trop long de consigner sur une feuille de papier. J’ai bien avec moi un Victor dévoué, mais je n’ai plus mon Victor amant d’autrefois. Si cela était, comme je le crois de plus en plus, il est certain que ton devoir serait de me quitter et tout de suite. Car jamais je n’ai prétendu vivre avec toi autrement qu’en maîtresse aimée et non en femme dépendante d’un ancien amour. Je ne demande ni ne veux de pension de retraite. Je veux ma place entière dans ton cœur isolée de toute espèce de devoir ou de reconnaissance. Voilà ce que je veux. Comme je veux être la femme honnête et soumise à tous tes désirs plus ou moins justes.
Si je t’ai fait de la peine, mon cher bien-aimé, je t’en demande pardon du plus profond de mon cœur. Si tu as à te reprocher de me cacher une décroissance d’amour, aie le courage de me le dire et ne me laisse pas l’affreux soin de le deviner. Si tu m’aimais encore autant qu’autrefois, dis-le moi encore car j’en doute et que le doute en amour vaut la plus horrible certitude. À bientôt. Moi, je t’aime.

J.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 65-66
Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa
[Guimbaud, Massin]

a) « plus tôt ».
b) « seule ».

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