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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 7 décembre 1861, samedi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon très cher bien-aimé, bonjour si le bonjour peut se dire dans une quasi nuit noire comme ce matin. J’espère que tu as bien dormi, mon cher petit homme, mieux que la nuit dernière. Cela est d’autant plus nécessaire qu’il serait impossible à toi de dormir le matin, quand même tu en aurais le temps et la volonté, à cause du va-et-vient de tes ouvriers. Quant à moi, qui n’ai pas les mêmes empêchements, je ne peux pas dormir le matin, quel qu’ait été mon sommeil de la nuit. Je ne dis pas cela pour ce matin car j’ai admirablement bien dormi et si je reste au lit, c’est parce qu’il n’y a pas encore de feu nulle part dans ma maison et que je crains l’humidité surtout quand je reste assise comme à présent. Mon Dieu ! Que c’est bête et inutile à dire tout ce que je viens de te gribouiller. J’en suis vraiment honteuse. J’ai tant, tant et tant de bonnes, de belles, de tendres choses à te dire que toutes les paroles du monde ne suffiraient pas à les exprimer, c’est peut être pour cela que je n’ose pas me mettre en train et que je tourne autour de mon cœur, sans en extraire tout ce qu’il contient. Mais il y a un mot qui sort de lui-même et sans permission : je t’aime. Il me serait même tout à fait impossible de le retenir quand bien même je le voudrais, mais je ne le veux pas, je ne le voudrais jamais. Ce sera le dernier mot que ma bouche dira dans ce monde et le premier que mon âme murmurera dans l’autre. Maintenant, mon bien-aimé adoré, il faut me laisser crever un peu de tristesse à l’approche du renversement de notre petite marmite SAUCIALE [1] culbutée par l’arrivée si prochaine de ta chère fille [2]. Cette joie ne m’était que prêtée, je le sais bien, mais je ne croyais pas avoir à la rendre si tôt, mais puisque cela doit vous rendre tous heureux je dois et je tâcherai d’être digne de votre bouche.

BnF, Mss, NAF 16382, f. 172
Transcription de Sophie Gondolle assistée de Florence Naugrette

a) « marmitte ».

Notes

[1Renverser la marmite : ne plus inviter à dîner. Depuis son retour de voyage, Hugo avait pris pension avec ses fils tous les soirs chez Juliette. Le retour de Mme Hugo met fin à cette habitude.

[2Accompagnée par sa mère, Adèle reviendra le 16 décembre.

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