3 aoûta [1837], jeudi matin, 9 h. ¾
Bonjour mon cher petit homme bien aimé. Comment va ta chère petite tête ce matin ? Tu étais si fatigué hier soir que je crains que tu ne t’en ressentes ce matin. Je ne peux t’aider en rien, je ne suis bonne à rien qu’à t’aimer et ce n’est pas assez dans des moments comme celui[-ci]. Je le sens bien mais qu’y faire ? Avoir autant de courage que toi, ne pas me plaindre de ma nullité. Mais c’est très difficile quand je t’aime de toute mon âme et que je sens jusqu’au fond des entrailles la peine que tu te donnes pour moi tous les jours. Je suis triste ce matin. L’article d’Esquiros [1] m’ab mis Martel en tête. J’ai rêvé toute la nuit que tu étais malade [2], et quoiqu’il soit de tradition de ne prendre ses rêves qu’à contresensc, je ne serai cependant tranquille que quand je t’aurai vu et baisé bien portant. Jour mon petit, jour mon cher petit bien-aimé. Je t’aime mon petit homme chéri. Au moins si je ne peux faire que cela, je m’en acquitte admirablement bien. Si tu peux me faire marcher aujourd’hui, tu me feras grand bien, car je continue à avoir mon mal de tête d’une force effroyable. Si tu ne le peux pas, je serai tout de même très patiente et très gentille puisque je vous dis mon Toto que je vous aime ainsi. Ne me fais pas rire tu me fais mal AU cou. Je baise vos belles dents et plus avant encore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16331, f. 135-136
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) Le mois est écrit au-dessus du mot « juillet » erroné mais non biffé.
b) « ma ».
c) « contre sens ».
3 août [1837], jeudi soir, heure inconnue.
Cher petit homme bien aimé, la pendule de Mme Pierceau est arrêtée. J’ai eu tantôt la visite de Mme Lanvin qui venait m’apporter l’argent de la robe de Claire. Elle avait son petit garçon avec elle. J’ai été, comme tu le penses bien, on ne peut plus contrariée de ne m’être pas trouvée chez moi pour la recevoir. Enfin elle doit revenir mardi prochain pour prendre les deux loges que tu dois lui donner [3]. Je t’aime mon Toto bien aimé, je t’aime de toute mon âme. Je voudrais te le dire comme je le sens. Mon beau poète, vous seriez bien émerveillé. Malheureusement, je ne peux que grogner d’une façon grossière le plus beau chant d’amour qu’ait jamais chanté une âme. Soir mon petit o. Je travaille à ma seconde chemise tant que je peux. J’ai défait mes brodequins pour être plus à mon aise. Nous marcherons ce soir, n’est-ce pas mon petit homme ? C’est si gentil de regarder la Grande et la Petite Ourse avec vous, de rebondir sur Pallas [4] à cent pieds de haut, de s’épater dans Mars à deux pieds, de rôtir dans Mercure et de geler dans Saturne, hein ? En voilà une d’astronomie. Cui nimbos et non inimitabile fumen ire, et cornipedum [5]… etc., etc. Je crois que j’ai prouvé suffisamment que je n’étais pas une ignorante. Maintenant je vous aime de tout mon cœur.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16331, f. 137-138
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein