Paris, 11 avril 1882, mardi matin, 8 h.
Cher adoré, ce n’est pas sans peine que je suis arrivée à mon soixante-seizième anniversaire. Mais puisque j’y suis parvenue, tant bien que mal, je veux persévérer de toute la force de mon amour pour toi à vivre autant d’années que Dieu voudra bien t’accorder sur cette terre. Pour cela j’ai besoin d’y être encouragée par toi et voilà pourquoi je te demande mon viatique annuel sous la forme d’une bonne petite lettre d’amour [1]. J’y compte si bien que j’en suis d’avance toute heureuse et toute émue comme au premier billet que j’ai reçu de toi. En attendant que mon vœu soit exaucé par toi, j’ai reçu de mon neveu [2] qui est à Brest en ce moment et de ma petite nièce [3] qui est chez son grand-père maternel à Iéna, deux bonnes et charmantes petites lettres en l’honneur de mon vieil anniversaire. À ce sujet je te demande si tu permets que nous le fêtions ce soir par un petit extra de table. Peut-être vaut-il mieux que cela reste entre nous. À toi d’en décider. Mon ambition aurait été de le fêter en compagnie de tes deux adorables enfants ; mais puisque cela n’est pas possible, je me désintéresse tout à fait de toutes manifestations extérieures. Pourvu que je sente que tu m’aimes comme je t’aime je suis heureuse et je bénis Dieu.
Depuis ce matin je cherche, sans pouvoir la retrouver, la personne à qui tu m’as dit d’écrire pour l’inviter à dîner samedi [4]. Peut-être t’en souviendras-tu et alors j’écrirai séance tenante. En attendant, mon grand bien-aimé, je vis dans le souvenir de toutes nos chères âmes envolées et je demande à Dieu de les envoyer au-devant de nous quand il nous rappellera à lui. Je t’adore et je te bénis.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16403, f. 50-51
Transcription d’Yves Debroise assisté de Florence Naugrette
[Souchon, Massin]