9 octobre 1858

Guernesey, 9 octobre 1858, samedi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon doux bien-aimé, bonjour, je t’aime. Cache bien ton cher petit nez sous ta couverture pour ne pas respirer l’affreuse humidité glaciale qui filtre à travers les portes et les fenêtres pendant que la pluie tombe à torrents en ce moment-ci. J’espère que tu as employé ta longue nuit à bien dormir, mon cher petit homme, pendant que ton Charlot te façonnait une réveil matin battant plus ou moins la muraille et la breloque ? Nous verrons s’il a tenu parole et si la [sienne]GRISE l’a emporté sur toute la palette variée d’Eulalie Lucas [1]. Je le désire pour vous et pour elle et je vous souhaite beaucoup de plaisir. Croyez cela et buvez encore plus d’onde que Quesnard, ce qui ne vous empêchera pas d’aller de travers. En attendant, je suis assez humiliée de la pensée que vous allez bientôt remuer ce tas de feuilles sèches que ma stupidité a accumulé en tas sur ma table depuis trois mois, au lieu de trésors d’amour et de tendresse que je croyais tirés^a de mon cœur et frappés à l’effigie de mon âme. Le honteux pour moi c’est que ce miracle à l’envers est fait par mon esprit qui n’est pas sorcier. Je t’en demande pardon quoique ce ne soit pas de ma faute et je t’adore mon bien-aimé.

Bnf, Mss, NAF16379, f. 286
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

a) « tirer ».