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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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30 juillet [1837], dimanche matin, 10 h. ½

Pas encore venu, mon cher petit homme. Je ne me plains pas, je t’aime. Je me suis réveillée à l’heure où tu as coutume de venir. J’ai entendu plusieurs fois la sonnette de la porte, et chaque fois c’était une fausse joie qui durait peu. Ma Claire est partie ce matin de bonne heure. En voilà pour jusqu’aux vacances. J’aurais cependant bien besoin d’y aller dans très peu de jours, savoir par moi-même comment elle travaille. Comme il y a trois mois que je n’ya suis allée, je crois qu’il serait bon de faire acte de présence à présent. Comme je l’avais prévu, Mme Pierceau ne viendra pas, cela allait de soi-même. Jour pa. Je t’aime mon petit homme. Le feu d’artifice était bien beau à voir rayonner sur votre belle figure. Vous étiez magnifique dans ce moment-là. Si je n’avais pas craint de vous déranger, je vous aurais baisé avec fureur. Et notre voyage ? Et les bords du Rhin ? Et mon bonheur ? Et ma joie ? Vous traitez tout cela avec une espèce de laisser-aller désespérant. Moi je ne connais pas d’obstacle, mais vous vous les créez par millions. Cependant il faudra bien le faire si vous ne voulez pas que je crève de chagrin cet hiver. Après cela vous en êtes le maître. Je suis toute seule aujourd’hui. Est-ce que cela ne vous fera pas venir une minute plus tôt ? J’ai bien besoin de vous voir. Je t’aime. Ma course forcée d’hier soir m’a fait du bien. Je me sens très gaillarde ce matin. À quoi ça me servira-t-il ? Hou ! Il y a trop longtemps mon Toto que vous avez tiré votre bougie [1]. Depuis il n’y [a] guère eu que quelque fusée égarée qui seb soit montrée à l’horizon [2]. Aussi mon pauvre cœur est-il tout noir et tout triste. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 119-120
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « ni ».
b) « ce »


.

30 juillet [1837], dimanche soir, 6 h. ¾

M’est-il permis d’être triste, mon Toto ? Voilà 19 heures que je ne t’ai vu, et si je conserve encore l’espoir de te voir avant ton dîner, ce sera un quart d’heure tout au plus. Je ne sais pas quelles sont les raisons qui t’ont retenua loin de moi tout ce temps-là, mais j’espère que tu me les diras quelles qu’ellesb soient. Tu ne voudras pas me tromper, n’est-ce pas mon bien-aimé ? J’avais tiré du grand coffre l’atlas, le livre de poste [3] et la carte de Normandie. Cela ne m’a pas beaucoup réussi puisque tu es venu encore moins aujourd’hui que les autres jours. Ma bonne est malade et va aller se coucher, ce qui m’a obligée à dîner plus tôt. De mon côté je ne vais pas tarder à en faire autant pour peu que tu sois aussi empressé ce soir que tu l’as été dans la journée. Je me creuse l’esprit à chercher la nature d’empêchement qui t’a retenu. Je ne la trouve pas. Ton travail ? Mais je sais très bien que tu n’as pas pu travailler cette nuit et toute la journée. Ainsi de quelque façon que je m’arrange, il me manque la nuit ou le jour, et même tous les deux ensemble. Je suis bien triste, mon Toto, au risque de me faire assommer. Mais vraiment j’ai le cœur gros. Quelle différence de l’année 1837 à toutes celles qui se sont succédéc depuis 1833, hélas !
Allons, bonsoir plutôt que de t’ennuyerd. Bonsoir, amuse-toi bien et sois heureux, ce sera toujours cela que tu gagneras sur moi, ce n’est pas à dédaigner.
Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 121-122
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « retenues ».
b) « quelqu’elles ».
c) « succédées ».
d) « ennuier ».

Notes

[1Terme de chirurgie, la « bougie » étant un instrument qu’on introduit dans l’urètre, soit pour le dilater, soit pour porter un caustique sur quelque point de sa surface (cf. Littré). La récupération du terme comme allusion sexuelle est donc aisée, et permet à Juliette de filer ensuite la métaphore entre bougie et fusée.

[2L’allusion coquine se fonde sur la métaphore filée mais s’ancre aussi dans la réalité concrète par l’évocation indirecte du feu d’artifice auquel Juliette et Victor ont assisté la veille.

[3C’est le guide, publié chaque année par l’Imprimerie royale, qui donne « l’état général des postes aux chevaux du royaume de France […] », ainsi que « la carte géométrique des routes desservies en postes, avec désignation des relais et des distances », ainsi que l’indique la page de titre.

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