1er juin [1837a], jeudi soir, 7 h.
Pauvre ami, vous attendre tout un grand jour pour vous voir toute une petite minute, ce serait bien peu pour quelqu’un qui ne saurait pas prendre dans un de vos regards l’amour de sa vie entière. Mais moi je peux cela, ce qui n’empêche pas que je ne sente cruellement vos trop longues absences. Je viens de lire une lettre de cetteb espèce D’AMPHIBIEc [1] qui a nom ALPHONSE [2]. Je n’ai pas compris ce qu’il a voulu dire en écrivant que Mlle Noblet vous aimait moins c’est-à-dire vous aime autant que Mme DORVAL [3]. Je connais pas le genre sphinx et par conséquent je n’ai pas pu deviner le mot de l’énigme. Mais ce que je sais, c’est que je ne veux pas que le mot amour soit accolé à une autre femme que moi quand on parle de vous. Je suis furieuse contre cetteb espèce de CARTONNEUR et je commence à lui croire le nez et l’esprit de la même composition que ses éventails de CARTON [4]. Je suis outrée. Pensez que de pareils hommes peuvent supposer que de pareilles femmes peuvent vous aimer, mon Toto adoré. C’est pour en devenir jaune d’indignation et de fureur. C’est moi qui vous aime, rien que moi, entendez-vous ? moi. Moi seule aussi je vous comprends, n’est-ce pas mon adoré ?
Juliette
BnF, Mss, NAF 16330, f. 249-250
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) Le millésime est ajouté d’une main différente, sous la date, et est suivi d’un point d’interrogation entre parenthèses.
b) « cet ».
c) Ce mot écrit en gros occupe à lui seul toute la ligne.
1er juin [1837], jeudi soir, 9 h. ¼
Pauvre cher bien-aimé, je devrais peut-être m’abstenir de t’écrire autant dans le moment où tu es plus occupé, mais je te vois si peu que j’ai bien de la peine à ne pas t’écrire depuis le matin jusqu’au soir uniquement pour me soulager un peu le cœur. Car vraiment je l’ai trop triste et trop plein quand je suis si longtemps sans te voir. J’ai envoyé mes goistapiouses [5] tout de suite au spectacle. Je suis donc tout à fait seule. J’ai fait mes comptes et j’ai encore trouvé un déficit à mon désavantage de six liards. Je crois mon Toto que je ne me défie pas assez de vous et que vous fouillez à ma caisse quand j’ai le dos tourné. J’aviserai une fichue serrure, non, une serrure Fichet [6], c’est là ce que je veux dire, qui vous empoignera au collet. J’ai un mal de tête hideuxa. Je vais me coucher pour tâcher de l’assoupir. Calembour à part, je ne peux plus y tenir, je vais me coucher et vous attendre en fumant ma chibouque ou mon chibouqueb bourré de : quand viendras tu, espèce de tabac que je cultive avec un prodigieux succès ? J’en ai toujours à revendre. En attendant, monsieur, je baise vos SACRÉES BOTTES et votre majestueux crâne tondu ainsi que votre royal menton.
BnF, Mss, NAF 16330, f. 251-252
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « hideuse ».
b) Le mot est féminin, mais on le trouve effectivement très souvent au masculin dans la littérature du XIXe siècle.