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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 avril [1849], lundi matin, 7 h.

Bonjour, mon tout adoré, bonjour, bonjour, je t’aime. Je suis encore sous l’impression de la joie que me faita ton ravissant cadeau. Conviens, mon bien-aimé, qu’il est bien doux de se faire de temps en temps quelques petites politesses ? Non pas que je compare mon pauvre petit miroir, déjà cassé, à ton splendide dessin, je n’ai pas cette outrecuidance, mais je dis seulement que ces charmantes surprises sentent le bon temps de la jeunesse et de l’amour, et qu’il faut tâcher d’en perpétuer la tradition le plus loin et le plus tard possible. Je n’ai pas encore tout dit ce que j’avais sur le cœur, il me reste encore le meilleur, c’est ton retour chez moi hier au soir. Tu ne peux pas savoir combien je suis sensible à ces touchantes marques de bonté de ta part. Je t’aime tant, mon Victor, que je fais consister toute ma joie et tout mon bonheur dans une de tes rares et courtes apparitions. Je sais bien d’un autre côté combien peu tu t’appartiens. C’est pour cela que j’apprécie comme je le dois les efforts que tu fais pour me voir une minute et que je t’en suis si reconnaissante. Je regrette qu’on ait brisé ce miroir si vite. J’attendrai pour te donner la clochette que cette veine de maladresse ce soit épuisée sur autre chose. En attendant je te la garde fidèlement, mais tu peux la considérer dès à présent comme t’appartenant en toute et légitime propriété. Cher adoré, mon Toto, mon beau petit homme, je te baise à bouche que veux-tu et je te souhaite tout ce que tu peux désirer en ce monde.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 107-108
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « fais ».


16 avril [1849], lundi matin, 11 h. ½

On est allé chercher vos boutons, mon Toto, et je vais arranger votre gilet tout à l’heure. Déjà je suis prête, mais je crains que vous ne le soyez pas de sitôta avec tous les chiens que vous avez à fouetter autour de vous. Cependant, pour ne pas vous désobéir et risquer de vous faire attendre, je me suis dépêchée de faire mes affaires. Si cela ne vous fait pas venir plus vite, cela ne vous fait pas venir plus tard, ainsi tout est pour le mieux.
Voici cette stupide Suzanne qui trouve moyen de ne pas comprendre un mot de ce que je lui dis. Il faut qu’elle retourne pour tes boutons. Heureusement que j’ai du temps devant moi car il faut s’y prendre à plusieurs fois avec elle pour avoir ce qu’on désire.
Il fait un temps exquis et qui vous fait venir les culottes à la bouche. Cependant il n’est guère probable qu’on puisse les cueillir si tôt que cela. Vous n’êtes pas homme à les prendre dans la nouveauté. Vous n’aimez les petits pois que quand ils sont gros et les culottes primeur que quand elles sont vieilles et passées. Quant à moi, j’aimerais mieux manger tout mon bonheur en herbe que de risquer de ne pas le manger du tout sous prétexte d’attendre qu’il soit mûr. Vous voyez que je suis en appétit ce matin et que si je ne fais pas ripaille ce n’est pas faute d’envie. Quand donc éprouverez-vous le même besoin ? Je finis par en désespérer, comme l’amant de la belle Philis [1], baisez-moi et pensez à ce que je vous dis.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 109-110
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « si tôt ».

Notes

[1Le nom de Philis est caractéristique de la poésie pastorale et galante. On le retrouve notamment dans une réplique d’Oronte, à la scène 2 de l’acte I du Misanthrope de Molière : « Belle Philis on désespère, / Alors qu’on espère toujours. »

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