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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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7 février [1849], jeudi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon cher petit Toto, bonjour, mon adoré, bonjour. Je t’aime. Je l’ai encore échappé belle hier, mais ce n’est que partie remise puisque la dame doit venir demain. Je voudrais pouvoir me faire illusion sur l’imminence de mon malheur mais je ne le peux pas. Je connais trop les allures de cette donzelle pour espérer qu’elle en changera avec vous. AU CONTRAIRE, elle passera du noir au blanc, du plaisant au sévère, de L’ACIDE au doux, de l’Alexandre Dumas au Victor Hugo. Je sais mon affaire par cœur, voilà pourquoi je ne me fais pas illusion. Voime, voime, ça n’est pas très drôle car je suis très décidée à vous tuer, monseigneur, vois-tu bien, comme un lâche, comme un infâme, comme un chien [1]. Je n’ai que cette ressource-là. Aussi j’en userai jusqu’à la dernière gouttea. Taisez-vous et tenez-vous sur vos gardes du corpsb et du cœur.
Comment allez-vous ce matin ? Ma fureur ne va pas jusqu’à rester indifférente à vos MALADIES. Voilà un temps qui doit faire du bien à votre gorge. À quelle heure vous êtes-vous couché hier ? Vous devriez, mon cher petit home, ne pas veiller tard tout le temps que vous avez mal à la gorge. Cette précaution vaudrait mieux pour vous que tous les gargarismes d’alun. Si j’étais auprès de vous je vous tourmenterais pour vous forcer à perdre cette mauvaise habitude de veiller. Mon pauvre adoré, tu as trop abusé jusqu’à présent de ta force, de ta santé et de ton courage. Il serait temps de souffler sur un des bouts de ta chandelle. Plus tard il n’y aurait peut-être plus mèche, comme dit Saint-Augustin, et, sans renoncer aux lumières de ton siècle, je te conseille de brûler un peu moins de bougie et de consommer un peu plus de soleil. Essayez-en et vous verrez lequel de nous deux est le moins bête. En attendant, je veux bien que ce soit vous.

Juliette

MVH, a8148
Transcription de Florence Naugrette

a) « goute ».
b) « corp ».


7 février [1849], jeudi midi

Tu vois à quelle misère je suis réduite, mon petit homme, si tu ne viens pas à mon secours. Je serai forcée d’acheter beaucoup de rames de papier à ton compte. La faim fait sortir la Juju du bois et une fois que j’en serai sortie j’entrerai dans des dépenses qui feront frémir votre budget de représentant. Je crois que vous ferez bien de prévenir cette émotion du populaire en m’accordant tout de suite ce que je demande. Je ne suis pas fâchée que vous alliez dîner chez votre beau-frère, bien loin de là, mais je voudrais que ce ne soit pas aux dépensa de ma bâfrerie de plus en plus problématique. Toute cette semaine vous m’avez tenue en échec à cause de votre mal de gorge, ce qui ne m’empêche pas de voir passer devant moi la gueuletonnerie de Girardin et de Victor Foucher, sans parler des hors-d’œuvres Rachel et autres Poléma de même farine. De quelque bonne pâte que je sois faite il vient un moment où je tourne au croquet.

MVH, a8149
Transcription de Florence Naugrette

a) « au dépend ».


7 février [1849], jeudi midi

Dans ce moment là je suis capable de troubler vos plaisirs et de vous faire un mauvais parti de toutes vos bonnes chances. Pensez-y, mon petit homme, et ne me poussez pas à bout. Certes vous ne pouvez pas dire que vous n’avez pas pris votre temps depuis plus de trois mois que vous me faites espérer l’insigne honneur de manger avec vous. Maintenant il faut vous exécuter de bonne grâce. Vous verrez que vous ne vous en trouverez pas trop mal. D’abord cela vous dispensera de lire tous les jours le même rabâchage, ce qui est bien quelque chose. Ensuite, vous me verrez plus contente, ce qui ne vous intéresse pas beaucoup à présent. Enfin vous n’aurez pas l’air de vous ficher des vilains et des marquis de Montferrier. Tout cela réuni doit vous faire prendre ma réclamation en considération. En attendant, je vous permets de vous livrer aux plaisirs de la table de vos parents et de vos amis et je compte sur vous pour lundi prochain. Je vous baise gras et je vous aime de même.

Juliette

MVH, a8150
Transcription de Florence Naugrette

Notes

[1Citation de la fin de Ruy Blas, où le héros, s’apprêtant à tuer don Salluste, prévient : « Oui, je vais te tuer, monseigneur, vois-tu bien ? / Comme un infâme ! comme un lâche ! comme un chien ! » (Acte V, scène 4, v. 2207-2208.) On ne sait de qui Juliette est jalouse ici. À cette époque, Hugo fréquente Alice Ozy.

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