Guernesey, 27 mai 1858, jeudi soir, 6 h.
Mon cher bien-aimé, la nouvelle de l’effroyable catastrophe de mardi [1] a fait sur mon cœur l’effet d’un violent coup de marteau qui enfonçait mon amour encore plus avant dans mon cœur, plus loin que tous les périls, plus fort que la colère de Dieu. Je sentais que toutes les douleurs de ces pauvres cœurs de femmes si brusquement et si impitoyablement mutilés dans leurs apparitions de famille étaient autant de crampons qui retenaient ta vie attachée à la mienne et que tu ne pouvais pas mourir tant que je t’aimerais de cette sainte et sublime passion qui fait de mon âme, l’âme de ton âme. Je m’arrête un peu, mon adoré, pour laisser à mon cœur le temps de me calmer car mon amour déborde mes forces en ce moment. La tête me brûle comme si je venais de t’arracher à un danger imminent. Mon bien-aimé, mon bien-aimé, ne nous séparons jamais en aucun temps, en aucun lieu pour quelque chose que ce soit afin que les ailes de nos âmes se touchent toujours et montent ensemble vers Dieu.
J.
BnF, Mss, NAF 16379, f. 115
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette