Guernesey, 14 mai 1858, vendredi après-midi, 4 h. ¼
Vous m’oubliez de fond en comble, mon cher petit Toto, en vous fichant complètement de mes embarras de Beaucaire et d’argent. Je m’en ficherais moi-même presque autant que vous si je pouvais vous apercevoir tant seulement un brin. Mais, rien dans le cœur, rien dans les mains, rien dans l’âme et rien dans les poches, ce n’est décidément pas assez pour nouer des deux bouts de son amour, telle est mon opinion. Vous savez que je suis prête à copire quand vous le voudrez, je vous attends la plume au bras, il dépend de vous que je commence tout de suite. Je vous l’ai dit hier, je vous le répète aujourd’hui pour vous forcer à vous soustraire à cette scie quotidienne en prenant le parti de me donner ce que je demande à CŒUR et à cri. Tiens, tiens, ce rayon de soleil inattendua qui se répand sur mon papier et qui fait courir l’ombre de ma main et de ma plume comme un petit lapin de chez Séraphin [1]. Cette ombre chinoise me fait songer à MES DEUX INDIENS [2] qui me font l’effet contraire de revenants car jusqu’à présent, je n’en n’ai pas encore vu ni queue ni tête quoique Pengalleyb [3] y ait déjà fait deux voyages depuis qu’on nous a signalé leur existence. Je crains qu’ils ne soient partis à la recherche de mes quarante-huit sous d’ancien, auquel cas je leur souhaite meilleure chance qu’à moi qui n’ai jamais pu remettre la main dessus.
BnF, Mss, NAF 16379, f. 104
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette
a) « inatendu ».
b) « Penguilly ».