19 avril 1872

Paris, 19 avril [18]72, vendredi matin, 7 h.

Mon pauvre grand bien-aimé, je n’ose pas te demander des nouvelles de ta nuit tant je crains qu’elles ne soient mauvaises. On dirait que le mauvais sort s’acharne d’autant plus sur toi que tu es de jour en jour plus grand, plus saint, plus doux, plus vénéré, plus sublime et plus divin. Dieu permet que ce soit ainsi, probablement parce que tu fais de toutes tes afflictions un baume pour tous les blessés de la vie et de ton génie la grande lumière qui éclaire et qui guide l’humanité vers la terre promise République universelle. Je ne sais pas, je ne peux pas dire ce que je sens si bien mais je t’adore avec des larmes plein les yeux. Je viens de lire À qui la victoire définitive ? [1] et les vers À Georges et à Jeanne [2]. C’est te dire où en est mon pauvre cœur et ma pauvre âme d’admiration et d’attendrissement. Seulement je me demande pourquoi tu as fait copier les vers à tes chers petits anges par une autre que moi ? À moins que ce ne soit par M^me Charles, je suis très triste de cette dépossession imméritée. Je ne parle pas des trois premiers fameux exemplaires numérotés qui m’ont passé devant le nez hier : tout cela a probablement sa raison d’être. J’attends pour m’en hérisser et m’en affliger le mot d’explication que tu voudras bien me donner quand tu n’auras rien de mieux à faire. Jusque là je t’aime pieusement et à genoux.

BnF, Mss, NAF 16393, f. 107
Transcription de Guy Rosa