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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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4 août [1848], vendredi matin 8 h.

Bonjour, mon bien, mon bonheur, ma vie, mon âme, bonjour. Je t’envoie en bloc toute la joie que tu m’as donnée hier. Je craindrais trop de la faner et de la flétrir en cherchant à la trier parmi tous les sentiments d’amour, d’admiration et d’adoration qui fleurissent dans mon âme comme une exubérante végétation. Déjà pour te dire cela je trébuche à travers des phrases et des comparaisons ambitieuses et ridicules qui font choir mon pauvre amour tout naïf les quatre fers en l’air. Je reprends mon sentier battu par moi depuis près de seize ans et dans lequel mon cœur peut aller les yeux bandés. Je te dirai que rien n’est comparable à la joie que ta présence inattendue m’a faite hier. Je me croyais revenue au beau temps de notre amour où je te voyais à tous les instants de la journée quelles que fussent tes affaires et tes préoccupations. Mon bonheur colorait et dorait toutes les choses pendant le trajet ordinairement si insipide pour moi de la maison à la place Bourgogne. Les rues me semblaient propres, les passants moins bêtes et moins laids, le ciel plus bleu, l’air plus pur, enfin ma joie déteignait sur tout ce que tu regardais avec moi. J’étais heureuse comme une jeune fille et je t’aimais avec la passion sainte d’une mère.

Juliette

Étude Cortot-Vrégille-Bizouard, Dijon 20 février 2012, n° 139 (expert Thierry Bodin)
Transcription d’Evelyn Blewer


4 août [1848], vendredi matin, 11 h.

Je n’ai pas la folle prétention d’espérer une seconde édition de mon bonheur d’hier, mon doux adoré, je sais trop bien que ces bonnes choses-là ne se prodiguent pas tous les jours. Je m’estimerai encore très heureuse si tu peux me donner quelques instants d’intimité sous les arbres de l’esplanade. Là se bornent mes vœux pour le moment. Je demande peu au bon Dieu afin qu’il me l’accorde : c’est une discrétion qui ne me réussit pas toujours à mon grand désappointement. Mais que je t’aime, mon Victor, toujours de plus en plus quoique je ne t’aie jamais aimé moins depuis près de seize ans que cela dure. As-tu pensé à moi depuis hier ? M’as-tu désirée ? M’as-tu regrettée ? Moi je ne suis pas sortie de la contemplation de mon bonheur. Pendant que mon corps allait et venait se levait ou s’asseyait, ma pensée et mon âme étaient avec toi et ne te quittaient pas. Ce que j’ai fait, ce que j’ai vu, ce que j’ai dit, je ne m’en souviens pas. Ce que j’ai senti, ce que j’ai aimé, ce que j’ai désiré, c’est mon bonheur, c’est toi, c’est mon amour. Jamais âme débarrassée de son corps n’a vécu d’une manière plus indépendante des choses de ce monde que ne l’a fait la mienne depuis hier.
Mon Victor je t’adore à deux genoux.

Juliette

Maison de ventes Cortot-Vregille-Bizouard, Dijon 15 avril 2015, n° 9 (expert Thierry Bodin)
Transcription d’Evelyn Blewer

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