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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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12 juillet [1848], mardi matin, 8 h.

Bonjour, mon pauvre bien-aimé, bonjour et bonne chance puisque tu es à l’Assemblée. Tâche de faire prévaloir toutes tes généreuses idées afin que le sacrifice de mon bonheur me soit moins pénible et moins douloureux. Cher adoré, quand je pense aux dangers que tu as courusa pendant ces quatre horribles journées j’en suis encore toutb effrayée [1]. Hier quand tu me montrais les effroyables traces des [illis.] et des balles qui t’étaient adressés j’aurais voulu être seule pour pouvoir coller mes lèvres sur chacune d’elles, pour les remercier de t’avoir épargné. Grâce à Dieu cet affreux temps est passé mais on n’en ressent pas le soulagement et la sécurité comme on le devrait. Cela tient à toutes les haines, à toutes les colères et à toutes les menaces qui sont dans l’air et qu’on respire malgré soi. Quantc à moi j’ai toujours au fond du cœur une secrète terreur que cela ne recommence. Que deviendrai-je, mon Dieu, si un pareil désastre se représentait maintenant, que je sais comment tu les évitesd ? Je ne veux pas y penser parce que j’espère que le bon Dieu aura pitié de nous et qu’il nous épargnera une seconde calamité comme celle dont nous sortons. Je ne trouve pas d’autres moyens de me tranquilliser que la confiance en Dieu. Je m’y attache de toutes mes forces.
Hélas ! je ne te verrai pas avant ce soir. C’est bien long. Plus de douze heures encore à attendre, c’est affreux mais aussi quelle joie cee serait pour moi si tu pouvais venir déjeuner tout à l’heure à l’improviste. Dans ma reconnaissance je suis capable de ne pas te faire PAYER ta goinfrerie. Essaye et tu verras jusqu’où peut aller l’enthousiasme, la reconnaissance, le désintéressement et l’amour d’une Juju.

MVH, 8112
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux

a) « couru ».
b) « toute ».
c) « Quand ».
d) « évite ».
e) « se ».


12 juillet [1848], mercredi après-midi, 4 h. ½

Je crois que les heures le font exprès. Je ne sais pas à quoi elles passent leur temps mais ce qui est mortellement sûr c’est qu’elles ne le passenta pas vite, cetb affreux temps. Depuis ce matin que j’attends neuf heures du soir je trouve qu’elles auraient pu, bien employées, faire huit à dix fois le tour du cadran. Décidément ces heures-là n’ont pas le sens commun et je ferai bien d’en changer. J’ai pourtant eu des visites mais le temps ne m’en a pas paru plus court, au contraire. D’abord j’ai vu Jourdain à qui j’ai donné les 55 francs ce qui n’est pas d’un fou rire extravagant, ensuite j’ai vu cette pauvre penaillon qui m’a apporté une nouvelle lettre de son fils qui lui mande le nom de l’homme qui l’a interrogé ; puis enfin la visite de la pauvre femme de la rue de Charenton qui venait me remercier encore une fois au nom de son mari, de sa famille et des siens. Elle avait son petit enfant et elle était accompagnée par sa mère. Cette fois elle avait l’air plus ouverte, plus cordiale et plus reconnaissantec. Il n’y avait rien de contraint, de pénible et de réservé dans sa manière. Il paraît que son mari, son père et son frère sont allés travaillerd à des travaux de terrassement à la tâche à Chelles. Elle n’en est pas fâchée malgré le chagrin de la séparation parce que les arrestations et les dénonciations se poursuivent avec une effrayante activité dans tout le faubourg Saint-Antoine et qu’elle craint quelque lâche trahison de la part des voisins qui pour détourner l’attention d’eux-mêmes emploient la délation [2]. Moyen hideux et contre lequel les innocents eux-mêmes ne peuvent rien. Tu vois que, y compris ma blanchissarde ma journée aurait été remplie si on pouvait combler matériellement le vide que fait l’absence dans la vie et dans l’âme. À ce soir mon adoré, j’attends neuf heures avec bien de l’impatience et bien de l’amour.

Juliette

MVH, 8113
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux

a) « passe ».
b) « c’est ».
c) « plus ouvert, plus cordial et plus reconnaissant ».
d) « travaillé ».

Notes

[1Le 25 juin 1848, la capitale est la proie de terribles insurrections. Alors que Victor Hugo – désigné pour être l’un des soixante représentants chargés d’annoncer l’état de siège aux insurgés – se lance à l’assaut des barricades pour accomplir son devoir, son appartement est envahi par des émeutiers. Si le logement n’a pas été saccagé, la porte cochère, elle, a été criblée de quatorze balles. Ces événements conduisent la famille Hugo à s’installer, le 1er juillet, rue de l’Isly.

[2À la suite des insurrections de juin 1848, le général Cavaignac, chef de l’exécutif, mène une véritable répression judiciaire. Dans un souci de « sûreté générale », il ordonne que tous les délits commis dans la ville de Paris soient punis. S’en suit une succession de dénonciations et arrestations. Le 9 juillet, la presse parle de quatorze mille détenus, nombre qui ne cessera d’augmenter durant les mois suivants.

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