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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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9 juillet [1848], dimanche matin, 7 h.

Bonjour, mon Toto, bonjour. Je ne suis pas trop malheureuse : je t’ai vu hier et je vais te voir aujourd’hui. Il n’y a pas trop de quoi se plaindre aussi je ne me plains pas je dis même : quel bonheur !!! Ce serait encore bien mieux si j’avais un logis près du tien et si je pouvais céder le mien séance tenante [1]. Malheureusement je n’en suis pas encore là et je n’y serai probablement pas avant le 15 janvier, époque reculée et peu agréable pour les déménagements [2]. Aujourd’hui je me sens pleine de courage et de patience parce que je vais te voir bientôt. Mais que tu sois un jour sans me voir et toute cette belle résignation s’en ira à vau-l’eaua et je serai la plus malheureuse des Juju. Mais n’anticipons pas sur ce moment hideux et trop prochain. Profitons du bonheur présent comme s’il ne devait jamais finir. Voime, voime, c’est facile à dire et peu facile à exécuter. Cependant ce n’est pas bonne volonté d’être heureuse qui me manque. Je m’agrippe ou je m’accroche aux moindresb petits [brimborions  ?] d’amour que tu me jettes, ce n’est pas ma faute s’ilsc ne sont pas assez forts pour me conduire bien loin et pour me soutenir longtemps au-dessus de tous les ennuis et de toutes les inquiétudes de cette vie.
Cher bien-aimé, mon Toto adoré, j’envoie ma pensée, mon âme et mon cœur au-devant de toi. Je ne garde que mon corps que je te porterai dans quelques heures quoi qu’il n’en vaille guère la peine.

Juliette

MVH, 8106
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux

a) « veau-l’eau ».
b) « au moindre ».
c) « s’il ».


9 juillet [1848], dimanche matin, 10 h. ½

Je m’épêche, je m’épêche pour arriver à l’heure car je ne veux pas plus te faire attendre que faire attendre mon cœur. Aussi je me hâte le plus que je peux d’en finir avec mes affaires pour être au rendez-vous à midi précisea dans l’église de la Madeleine. Si tu veux nous irons voir ensemble des logements tu pourras juger par toi-même de la difficulté de se loger à bon marché dans ce quartier-là surtout avec le genre de mobilier que j’ai. Mais l’important pour moi aujourd’hui c’est de te voir, c’est de marcher avec toi, de respirer le même air que toi, de sentir ma vie se mêler à la tienne. Le reste viendra en son temps si Dieu est juste et si l’amour n’est pas le repoussoir du bonheur. En attendant je borne mon amour à midi et mes exigencesb à faire tout ce que tu voudras. Baise-moi et tais-toi je vous l’ordonne. À propos rendez-moi donc mes 6 francs 15 sous et mes trois déjeuners. Je ne vous en fais pas grâce, je vous en préviens. Je vous laisse toute la gloire des souscriptions et je garde mon argent et mes déjeuners. Voilà mon patriotisme pour le moment. Entre nous je vous trouve un peu….. représentant du peuple de donner de l’argent avec facilité à des gens qui vous le rendent à coup de fusils. Merci j’aimerais mieux du veau et pas mal d’autres carottes que cellesc que le citoyen Lagrange [3] vous a tiréesd au nom de cette classe intéressante, mais féroce, des insurgés et des émeutiers qui ont eu des malheurs dans sa société et des désagréments avec la justice. Mais enfin cela vous regarde. La stupidité ne se commande pas seulement je veux mon argent et mes trois déjeuners tout de suite ou la mort.

Juliette

MVH, 8107
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux

a) « précises ».
b) « exigeances ».
c) « celle ».
d) « tirée ».

Notes

[1Après avoir assisté, durant les journées de Juin, à l’envahissement de son logement par des émeutiers, la famille Hugo a quitté la place Royale pour s’installer au 5 de la rue de l’Isly, s’éloignant alors de la rue Sainte-Anastase où vit Juliette Drouet.

[2Juliette Drouet emménagera cité Rodier en novembre 1848.

[3Le député Charles Lagrange – député de l’extrême-gauche de l’Assemblée constituante –, réclame en vain l’amnistie des victimes de la répression de juin 1848.

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