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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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21 février [1846], samedi matin, 10 h. 

Bonjour, bien-aimé, bonjour mon Victor adoré, bonjour et merci du fond de mon cœur et de toutes mes forces, merci. Ce que tu as écrit cette nuit sur mon cher petit livre rouge me donnera du courage et de la confiance pour le reste de ma vie [1]. Par tout ce que tu regrettes le plus et tout ce que tu aimes le plus, mon cher bien-aimé, sois consolé et heureux pour le bonheur que tu m’as donné depuis treize ans. Quand je mourraiª je veux qu’on mette mon cher petit livre sur mon cœur et qu’on m’enterre avec [2]. Je veux paraître devant le bon Dieu avec cette réhabilitation glorieuse écrite de ta main bénie. Mon Victor, je t’aime. Au-dedans, au dehors de moi je ne vois que mon amour, je ne trouve que ces deux mots : je t’aime. Ô oui je t’aime. Jamais homme n’a été aimé par une femme comme tu l’es par moi, j’en suis bien sûre. Je voudrais te le prouver en te donnant ma vie tout d’un trait. Je t’attends mon Toto chéri, pour savoir comment tu vas et comment ton Charlot a passé la nuit. J’espère que rien de mauvais ne sera venu troubler la sécurité que vous aviez à son sujet hier au soir [3]. Je le désire de toute mon âme. Tâche de venir de bonne heure, tu me tranquilliseras et tu me donneras de la joie pour toute la journée. Je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 179-180
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette
[Pouchain]

a) « mourerai ».


21 février [1846], samedi soir, 6 h. ¼

Je t’aurais bien peu vu aujourd’hui, mon petit Toto, même en y comprenant les trop courts moments que tu m’as promis pour cette nuit. Mais je me sens le courage de t’attendre, sinon sans impatience du moins avec courage et avec résignation. Ce miracle est dû à la lecture de mon cher petit livre rouge. Cependant il ne faudrait pas trop abuser de ce précieux talisman, car je suis sûre d’avance que toutes les douces et ravissantes choses que tu y as écrites ne prévaudraient pas toujours sur ton absence. Aussi, mon bon petit homme ravissant, viens ce soir le plus vite que tu pourras. Et pense à moi de loin. Je le sentirai et j’en serai moins malheureuse en t’attendant. Tu aurais dû, mon petit homme, rester avec moi jusqu’à l’heure du dîner, puisque tu es sûr de ne venir que tard dans la nuit. Cela n’aurait été que juste. En général, vous me faites toujours des passe-droits révoltants. Si jamais je deviens quelque chose dans le GOUVERNEMENT vous me paierez tout cela d’un bloc et plus cher qu’un marché. Mais pour changer je n’ai toujours rien. Vous voyez que si je ne grogne pas et si je ne suis pas très méchante, ce n’est pas l’envie qui me manque, c’est le souvenir de toutes les adorables et saintes choses que tu m’as écrites la nuit passée. Je ne me reconnais plus le droit de me plaindre jamais et quelque chose qui arrive, puisque tu m’aimes, moi je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16362, f. 181-182
Transcription d’Audrey Vala assistée de Florence Naugrette
[Pouchain]

Notes

[1Le Livre de l’anniversaire ou le Livre rouge est celui où Juliette conserve les lettres que Hugo lui adresse chaque année pour célébrer la date de leur première nuit d’amour. Le 20 février 1846 Victor Hugo y écrit : « Ce mois est le mois grave et doux. Il ne revient jamais, ma bien-aimée, sans me remplir l’esprit de pensées et le cœur de souvenirs. Oh ! Dis ! Te rappelles-tu ?… Sois heureuse et fière de ces treize années écoulées. Tu as mis ton âme dans le vrai ; tu as cherché la vertu dans l’amour, tu y as trouvé le bonheur. Ta vie aujourd’hui se détache sur le bleu du ciel. Quand je te regarde, je t’admire jusqu’à l’attendrissement. Oh ! Sois heureuse ! Sois aimée ! Sois bénie !-Moi en me rappelant toutes les dates de ce mois prédestiné, je prie mon ange qui est dans le ciel pour mon ange qui est sur la terre. » (édition de Gérard Pouchain, ouvrage cité, p. 80.)

[2Ce vœu ne sera pas réalisé, puisque ce livre est conservé à la BnF, ce qui nous permet de connaître les lettres que Hugo y a écrites pour Juliette, éditées par Gérard Pouchain. Victor Hugo/ Juliette Drouet, Cinquante ans de lettres d’amour (1833-1883). Lettres de l’anniversaire, Ouest-France, 2005.

[3Charles Hugo souffre d’une indigestion.

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