20 février [1848], dimanche matin, 9 h.
Bonjour mon cher petit homme bonjour, mon doux adoré, bonjour tout ce qui me plaît, tout ce qui me charme, tout ce qui me ravit, tout ce que je désire, tout ce que j’aime et tout ce que j’adore bonjour comment ça va-t-il ce matin ? Moi je vois avec plaisir la pluie tomber en abondance. Il me semble que cela remplacera avec avantage les clysopompes [1] du maréchal Lobau et que l’émeute se tiendra tranquille aujourd’hui [2]. Jusqu’à présent je n’entends que les trompes de carnaval sonnées par les gamins JOVIAUX du quartier. J’espère que rien de plus belliqueux ne se mêlera à ces cornements harmonieux. J’avoue que je suis peu enthousiaste du rappel, des coups de fusils et autre aimable démonstration de l’émeute et du gouvernement. D’y penser j’en ai la chair de poule… pas gauloise. Dans tous les cas j’espère que tu te dispenseras de fourrer ton cher petit nez dans tous ces hourvarisa, il faut laisser aux mangeurs de veau, la responsabilité de leur gueultonnerie. Ce n’est que juste. Je n’ai pas besoin que tu te fasses écrabouiller pour tous ces goinfres politiques qui n’en valent pas la peine. Suzanne vient du marché où elle n’a rien entendu dire à ce sujet car elle m’en aurait parlé. C’est un bon signe car les vendeuses de choix s’occupent beaucoup de POLITIQUE tout me fait espérer qu’il n’y aura rien aujourd’hui. D’un autre côté le vent est à la pluie pour tout le reste de la lune et je l’approuve. Je voudrais qu’il plût tant qu’on ne peut pas mettre un RÉPUBLICAIN dehors. Maintenant baise-moi et tiens-toi tranquille ou je te fiche des coups.
Juliette
MVH, 9022
Transcription de Michèle Bertaux.
a) « ourvaris ».
20 février [1848], dimanche midi ½
Je continue d’être dans le ravissement, mon adoré, de la pluie et de l’affreux temps qu’il fait. Je voudrais que cet aimable et hideux temps se prolongea pendant huit ou dix jours. C’est la première fois que j’aurai fait un pareil vœu ce qui prouve que mon goût se suit et ne se ressemble pas. Je voudrais pourtant bien ne plus te parler POLITIQUE. Je trouve que je me suis déjà assez COMPROMISE comme cela. Je ne t’en dirai donc pas davantage et pour cause.
Comment vas-tu, mon adoré ? As-tu bien dormi ? J’ai oublié de nettoyera tes poches avant de partir ce qui fera que je serai obligée de recommencer mon récurage de clef encore une fois. Il est probable que vous avez laissé amonceler des tas d’ordures dans vos poches, vilain sale que vous êtes, allez. Si jamais on publie la biographie du cochon j’ai la vôtre toute prête à mettre en tête, avec les fac-similés de vos mouchoirs et les portraits de vos chemises qui feraient honte à des [poêles à marrons ?], si non pour la COULEUR, au moins pour leurs trous. À propos de portraits j’ai laissé tomber hier au soir, à cause de l’obscurité et de l’encombrement de mon armoire, un des petits daguerréotypes de mon buste. La [illis.] s’est brisée et maintenant le susdit daguerréotype est à l’air. Je l’ai mis entre les deux autres dans le fond d’un tiroir, mais c’est égal si je suis bien sûre que cela ne l’arrange pas. Tout cela c’est votre faute, si vous ne m’encombriez pas de tous vos vieux bouquins, j’aurais de la place pour mes propres affaires. Je vous dis que vous êtes un bête et un vilain sale. Taisez-vous, ne bougez-pas et venez tout de suite me baiser mieure [3] que ça.
Juliette
MVH, 9023
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Michèle Bertaux
a) « netoyer ».