Paris, 2 juin [18]78, dimanche soir, 5 h.
Cher bien-aimé, je comptais te remettre aujourd’hui la note explicative de l’emploi des sommes qui sont sorties de ta réserve depuis quatre ou cinq jours, soit par toi soit par moi, mais je ne m’en sens pas le courage en ce moment tant je suis endolorie. Mais, tout étant écrit au fur et à mesure de la dépense avec date certaine et pièces justificatives, cet ajournement à bref délai, je l’espère, n’a pas de gravité. Je te remercie d’avoir eu la bonne intention de me faire sortir aujourd’hui et je n’aurais pas mieux demandé que d’en profiter si le temps l’avait permis et mes pattes aussi. Peut-être qu’il ne pleuvra pas demain et que mes vieilles douleurs me laisseront tranquille alors je te prierai de me donner la joie de t’aimer et de respirer auprès de toi à ciel ouvert pendant une heure. En attendant cette heure désirée je t’aime solitairement dans ma pauvre petite chambre pendant que tu passes en revue les masses d’hommages bien méritées de tous ceux qui, de près ou de loin, t’ont entendu jeudi dernier [1] ou lu ton dernier chef d’œuvre. Comme cette besogne n’est pas près de finir aussi je la respecte en t’adorant de toute mon âme.
BnF, Mss, NAF, 16399, f. 145
Transcription de Chantal Brière