Paris, 29 mars [18]78, vendredi soir
Pendant que tu déblaies tes journaux et tes lettres arriérés moi je me livre au casse-tête chinois des cartes et des places de ta table trop hospitalière, c’est une véritable table de multiplication qui embarrassea mon arithmétique au point de ne plus savoir ce que je fais et ce que je dis. Je ne sais jamais en commençant ma journée comment je l’achèverai et je ne suis vraiment tranquille que lorsque je suis entrée dans ma chambre après que tout le monde est parti et que les bougies sont éteintes. Aujourd’hui encore, je suis dans des transes de quelques anicroches imprévues et je donnerais deux sous de bon cœur pour pouvoir m’abstenir. Tout cela, mon pauvre adoré, prouve qu’il ne suffit pas de t’aimer de toute mon âme comme je le fais pour prolonger indéfiniment les forces, la santé et la vie. Je suis bien forcée de me l’avouer, hélas ! en face des devoirs multiples et incessants de ta triple vie littéraire, politique et mondaine. Sans être Tircis [1], le temps de la retraite est venu pour moi et il faut que j’y songe sérieusement pour t’épargner un prochain embarrasb dont tu souffrirais peut-être autant que moi qui t’adore.
BnF, Mss, NAF, 16399, f. 85
Transcription de Chantal Brière
a) « embarasse ».
b) « embaras ».