26 août [1841], jeudi soir, 11 h. ¼
Voici encore une journée écoulée, mon amour, pendant laquelle j’aurai eu beaucoup de chagrin et très peu de joie, comme dans beaucoup d’autres journées de ma vie. Je ne veux pas me plaindre mais cependant tu as été bien injuste et bien méchant pour moi tantôt, je t’avoue que si ma fille [1] n’était pas avec moi je me livrerais à un découragement et à un désespoir dont tu n’as pas l’idée parce que tu ne sais pas comment je t’aime ni combien je t’aime. Enfin n’en parlons plus car il est bien temps cependant que j’en prenne mon parti.
J’ai un mal de tête affreux que j’attribue à l’affreuse chaleur douceâtre de tantôt et à l’éloquence du sieur BUESSARD [2]. C’est à peine si j’ai le courage de t’écrire, chose que je fais aussi naturellement que de respirer pourtant car Dieu sait que je ne mets pas la moindre prétention dans les gribouillis que je te fais tous les jours. Je t’écris parce que je t’aime et que j’ai besoin de multiplier la manière de te le dire, en paroles, en lettres, en pensées, en actions, en cœur, en âme. Je te dis toujours et à toute minute de ma vie, mon Toto je t’aime, mon Toto je t’adore, mon Toto je suis à toi, mon Toto je voudrais mourir pour toi.
Quand te verrai-je, mon amour ? J’ai hâte de te voir et de te pardonner. Revenez donc bien vite, méchant homme, et mettez-vous à genoux. Quel méchant homme, je suis tout à fait de l’avis du sieur Buessard à votre endroit et je vous déclare le plus féroce et le plus DANGEREUX des hommes.
Et mes statuettes ? Apportez-les moi tout de suite si vous tenez à me faire sourire [3] car je vous avoue que je n’en ai guère envie quoique je me chatouille la plante des pieds depuis le 1er mot de ma lettre jusqu’au dernier.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16346, f. 177-178
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette