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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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4 avril 1852

Bruxelles, 4 avril 1852, dimanche matin, 9 h.

Bonjour, mon Victor bien-aimé, bonjour. Je reviens de la messe où j’ai prié pour toi et pour tous les tiens. Si le bon Dieu m’a entendue, tout ce que tu désires, tout ce que tu espères t’arrivera, mon doux aimé, car je lui ai demandé de te faire le plus heureux des hommes.
Comment vas-tu ce matin, mon bon petit homme ? As-tu déjà pris ta drogue ? Je crains que tu l’oublies. C’est un grand regret pour moi, chaque fois que l’occasion se présente de te soigner, de ne pouvoir le faire. Il me semble pourtant que je ne suis venue au monde que pour cela. Aussi est-ce doublement triste pour moi de manquer forcément à cette douce vocation. Enfin, mon pauvre bien-aimé, puisque je ne le peux pas absolument, tâche de me suppléer le plus que tu pourras en commençant ce matin même à prendre ta cuillerée d’eau homéopathique. J’espère que cela fera disparaître à tout jamais cette vilaine douleur de cœur qui n’est déjà restée que trop longtemps. Mon Victor bien aimé, bien aimé, bien aimé, il ne faut pas que tu souffres de nos maux à nous. Tu n’es pas fait pour cela et tu ne saurais pas t’en servir. Pour te préserver de toute tentation à ce sujet je te donne cette petite branche de buis bénie par mes prières et par mes baisers. Chacune des feuilles contient le pardon des sept années que tu as volées à mon amour [1]. Que tous les coupables anniversaires qui se rattachent à leur nombre deviennent pour toi des siècles de gloire et de bonheur. Que ce petit rameau de paix et d’oubli soit ton talisman contre tous les maux et tous les dangers. Qu’il garde ton corps en même temps que ton âme. C’est la mission que je lui confie avec la pieuse conviction qu’il n’y manquera pas car chacune de ces feuilles est faite de dévouement, de tendresse, d’espérance, d’abnégation, de courage, de confiance et d’amour. Sois béni, mon Victor, [par  ?] toutes les larmes que j’ai versées. Sois heureux de tous les bonheurs à la fois.

Juliette

Collection Claude de Flers (juin 2013)
Transcription de Florence Naugrette

a) Le papier porte la trace d’une fleur séchée.


Bruxelles, 4 avril 1852, dimanche matin, 11 h. ½

Est-ce que je ne te verrai pas un peu aujourd’hui, mon Victor ? Est-ce que tu ne profiteras pas de ce beau soleil ? Ce serait pourtant le meilleur remède à tes douleurs de cœur [2]. Si tu ne prends pas sur toi de faire une part de ton temps pour ta santé, il n’y a pas de raison pour que tu aies jamais une heure de loisir et de repos. Il fait vraiment si beau aujourd’hui, que c’est presque un crime de ne pas en profiter. Quant à moi, je suivrai ton exemple dès que tu me le montreras. Autrement, je resterai toujours dans mon coin, comme un pauvre chien délaissé. Ce n’est pas parce que je demande à sortir avec toi, mon pauvre petit homme, puisque cela ne se peut pas, mais je ne veux sortir qu’en même temps que toi. C’est le moyen de te forcer à faire de l’exercice parce que tu es bon et que tu ne voudrais pas me faire du mal par une claustration trop prolongée. En attendant, j’ai un mal de tête fou, effet du printemps probablement, sans compter beaucoup d’autres causes qui doivent influer d’une manière plus ou moins directe sur ma santé. Je ne veux pas m’appesantir là-dessus parce que je sens que mes yeux se mouillent. Je veux te sourire au contraire et être bien gaie. Pauvre bien-aimé, c’est bien le moins qu’en échange de ton dévouement de tous les instants, je m’efforce d’être heureuse. Oui, je suis heureuse, oui je crois que tu m’aimes, que tu n’aimes que moi que tu m’es fidèle, oui, oui, oui, je le crois. J’en suis sûre même puisque je vis. Mon bon petit homme, mon amour béni je suis très heureuse et je ne désirerai plus rien si tu sors et si tu viens me voir avant ton dîner. Penses-y et tâche de ne pas te laisser confisquer par le tiers et le quart belgiquois et cosmopolite qui pullulent chez toi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16370, f. 279-280
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

Notes

[1De 1843 ou 1844 à 1851, Hugo a eu pour autre maîtresse Léonie Biard. Juliette Drouet n’a appris son infortune qu’en juin 1851, après avoir reçu de sa rivale le paquet des lettres brûlantes que Hugo lui avait adressées pendant leur longue liaison. Ce geste vengeur de Léonie s’explique par le refus de Hugo de quitter Juliette pour elle.

[2Dans une lettre adressée à son épouse Adèle le 14 avril1852 Victor Hugo écrit à propos de sa santé : « Mon mal de larynx a à peu près disparu ; il est remplacé par une douleur sourde et fixe au cœur. On me dit qu’il faudrait marcher et moins travailler, et c’est justement ce qui m’est impossible […] », Massin, t. VIII/2, p. 994.

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