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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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27 février [1843], lundi matin, 11 h. ½

Je n’ai pas eu le temps de te demander comment tu allais, mon pauvre bien-aimé, c’est tout au plus si j’ai pu agripper un pauvre petit baiser de rien du tout tant tu étais pressé de voler dans les bras de ton juge [1]. Depuis longtemps, ces messieurs prennent tout ton loisir et se partagent toutes tes tendresses. Il ne m’en reste plus pour moi. J’ai beau faire et beau dire pour te retenir, tu as toujours besoin de me quitter le plus vite possible. Il faudra pourtant bien que les procès aient une fin, les répétitions aussi et alors je vous promets d’être aussi exigeante que je suis résignée, aussi féroce que je suis moutonne. Vous voilà averti, vous ne serez donc pas étonné quand cela arrivera.
Est-ce que tu as répétition tous ces temps-ci ? Il me semble que les trois jours gras sont ordinairement jours de congé pour les répétitions ? Peut-être je me trompe. Et puis d’ailleurs n’eusses-tua pas de répétitions tu n’en serais pas plus libre, mon pauvre bien-aimé. Je le sais et je me résigne tant bien que mal à mon fichu sort.
Je ne sais pas si Mme Pierceau amènera son Démousseau aujourd’hui mais dans tous les cas, comme elle ne m’en a pas prévenue d’avance, il en sera quitte pour revenir un autre jour, les mardi et les jeudi exceptés. C’est après-demain que ma pauvre péronnelle rentre au bercail à son grand regret car elle avait bien compté sur les Burgraves. Elle avait compté sans son hôte [2], voilà tout et il lui arrive en cette occasion ce quib m’arrive toute l’année à propos de tout. Mais, chut ! ne réveillons pas le chat qui ne dort pas. Parlons d’autre chose : je vous arrangerai vos ceintures, demain, mon cher petit bien-aimé, parce qu’aujourd’hui je ne le peux pas à cause de Mme Pierceau. Mais demain je ferai tout ce que je pourrai, malgré le Mardi-gras et surtout à cause du Mardi-gras parce que je serai toute seule avec ma péronnelle et que nous travaillerons comme des enragées.
J’aurais pourtant bien voulu savoir comment allaient tes yeux, mon Toto chéri, c’est bien triste de n’avoir pas eu le temps de te le demander. Tâche de passer à la maison en revenant de chez ton juge, au moins que je sache comment tu vas et que je te baise pour toute ma journée.
Jour Toto, jour mon cher petit o. Soyez-moi bien fidèle, ou gare à mon grand couteau. Je vous le planterai, net comme Dominus [3], au beau milieu de votre affreux petit cœur de scélérat si vous me faites la moindre trahison. Voilà comme je suis moi, vous le savez bien donc vous n’avez qu’à vous bien tenir.
Baise-moi, mon Toto chéri, ne sois pas triste et ne souffre pas et je serai très heureuse.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f. 185-186
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « n’eusse-tu ».
b) « qu’il ».


27 février [1843], lundi soir [6 ? 8 ?] h. ¾

Mon Toto chéri, je me réjouis de ce que voilà la soirée très avancée parce que j’espère que tu viendras bientôt. Je le désire de tout mon amour, mon Toto adoré, ne me fais pas désirer trop longtemps car alors je pourrai à peine te voir. C’est demain le fameux anniversaire, le vrai anniversaire [4]. Hélas ! L’amour y sera mais le bonheur en sera-t-il pour la pauvre Juju demain ? Voilà bien des anniversaires que nous laissons échapper sans leur donner même un sourire. Pauvre ange, je ne t’en veux pas parce que ce n’est pas ta faute mais j’ai le cœur bien triste quand j’y pense. Quand donc, mon Dieu, pourrons-nous nous appartenir l’un l’autre ? Il est temps que cela vienne car je tire la langue longue comme le bras.
M. Démousseau viendra mercredi à 3 h. ½ parce qu’il veut que tu n’aies plus qu’à signer quand tu viendras. Pour cela, il m’a fait dire d’avertir l’affreuse sorcière de se trouver avec lui plus tôt afin de lever toutes les difficultés, s’il y en a, et pour que tu n’aies rien à démêler avec elle, toi personnellement. Du reste il dîne à cinq heures précises et ce serait le gêner et le désobliger, à ce que j’ai compris dans ce que me disait Mme Pierceau, que de lui déranger ses heures. Tâche, mon Toto, de venir au moins à 4 heures et puis tu seras débarrassé de cette corvée à tout jamais.
Je t’aime mon Toto chéri, je t’adore mon Toto. Mais viens donc bien vite et surtout reviens cette nuit.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f. 187-188
Transcription de Olivia Paploray, assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Hugo est en procès avec Mlle Maxime, comédienne du Théâtre-Français qui l’attaque parce qu’il lui a retiré le rôle de Guanhumara dans Les Burgraves.

[2Jeu de mots avec « compter sans son autre », que Juliette écrit souvent « AUTE ».

[3Net comme Dominus : expression que Juliette utilise régulièrement pour exprimer ses menaces jalouses [Remerciements à Sylviane Robardey-Eppstein].

[4Juliette et Hugo ont deux fêtes commémoratives : la nuit du 16 au 17 février et le Mardi-Gras, que Hugo fond dans Les Misérables en une seule quand il décrit la nuit de noces de Cosette et Marius.

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