Guernesey, 20 septembre 1856, samedi après-midi, 2 h.
Maintenant que voilà votre toutou retrouvé, j’espère que vous pourrez songer un peu à moi et me faire sortir à votre suite sans craindre de me perdre. Du reste, je suis bien contente du retour de ce petit chien familier qui a plus l’air d’un petit génie que d’une bête malgré ses longues oreilles et ses quatre grosses pattes. Quant à moi, je n’ai jamais douté de son retour plus ou moins prochain mais je suis bien heureuse qu’il ne se soit pas fait attendre plus longtemps à cause du chagrin que cela te faisait. Il est certain que nous l’aurions retrouvé le même soir ou le lendemain dans le voisinage où nous l’avions perdu si nous avions été le chercher. Enfin, le voilà revenu encore plus aimable et plus caressant qu’auparavant, c’est à lui à ne plus se perdre dorénavant s’il tient à garder sa bonne réputation de chien d’esprit. J’aurais fort à faire, moi, s’il me fallait faire oublier ma stupidité traditionnelle, aussi je n’y essaye même pas, loin de là. Je m’y vautre au contraire, dans ma stupidité, avec une courageuse persistance digne d’un meilleur sort, ce qui ne m’empêchera pas d’aller au-devant de vous tout à l’heure à Fermain Bay [1]. Pour cela, il faut que je me dépêche de m’habiller et de vous tirer ma restitus en douceur, ce qui ne me sera pas difficile à l’aide de beaucoup de tendresse et de pas mal de baisers pris au hasard dans mon cœur et dans mon âme.
Juliette.
Bnf, Mss, NAF 16377, f. 234
Transcription de Mélanie Leclère, assistée de Florence Naugrette