[5] juillet [1847], lundi matin, 8 h. ½
Bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour, mon amour. Je ne veux pas recommencer à te dire toutes les choses que tu sais aussi bien que moi : que je t’aime et que je m’ennuie d’avance de la virée d’aujourd’hui [1]. Tout ce que je peux ajouter c’est que je voudrais qu’elle fût passée, quoiqu’il ne soit que trop probable que demain ce sera une nouvelle chose qui t’empêchera de venir et de rester avec moi, absolument comme aujourd’hui. Allons, je vois que ma bonne résolution tourne à la grognerie avec une rare facilité. Il ne faudrait pas que je me pousse beaucoup pour entrer dans une colère atroce contre tout ce qui nous sépare et contre vous-même, car il est probable que le premier obstacle vient de vous. Je ne veux pas aller aux preuves parce que la plus attrapéea serait encore moi. J’aime mieux me souvenir que vous êtes venu hier deux fois, très peu de temps à la vérité, mais enfin c’était vous et cela suffisait pour rendre courte et charmante cette soirée qui, en commençant, me paraissait déjà trop longue et que je sentais si ennuyeuseb. En souvenir de ces deux bonnes apparitions je veux vous sourire et ne vous montrer que de la bonne humeur, du calme et de la résignation. Mon Toto, je t’aime. Tout ce que je te dis, tendresses ou grogneries, c’est toujours de l’amour. Que je sois triste ou gaie, je t’aime, que je souffre ou que je sois heureuse, je t’adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16365, f. 150-151
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « attrappée ».
b) « ennuieuse ».
5 juillet [1847], lundi, midi ¾
J’ai dans mon jardin [2] une magnifique rose blanche éclose de tout à l’heure que je voudrais pourvoir donner à ma belle Dédé. Si vous étiez bien inspiré, vous viendriez la chercher tout de suite. J’aurais le double bonheur de vous voir et de donner ma belle fleur à cette ravissante Dédé que j’aime tant. Malheureusement il n’en sera rien, vous ne viendrez que lorsque le soleil l’aura fanée et que la journée sera finie. Étonnez-vous après cela si je suis triste et mécontente.
Mon pauvre bien-aimé, je ne veux pas troubler ton bonheur de famille par mes plaintes et mes regrets. Je veux au contraire que tu jouissesa à plein cœur de l’admiration générale que ta bonté, ta générosité, la noblesse de ton caractère et ton divin génie inspirent à tous ceux qui t’approchent. Je veux que tu sois heureux de la beauté de ta ravissante fille et des succès de polka de tes MONSTRES de garçons [3]. Je veux que toutes les vertus, toutes les joies et toutes les gloires rayonnent sur ton beau front sans y mêler l’ombre de mon ennui et la préoccupationb de ma tristesse loin de toi car je veux être heureuse de ton bonheur, de votre bonheur à tous, puisque je vous aime tous et que je t’adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16365, f. 152-153
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
[Souchon]
a) « jouisse ».
b) « préocupation ».