Guernesey, 4 juillet [18]64, lundi après-midi, 3 h.
Ne vous en déplaise, mon cher petit homme, j’ai passé une very good nuit et je me porte comme un diable. Cela étant, voyons votre bulletin. Que résulte-t-il de l’examen de votre bouche au speculum ? Faudra-t-il vous arracher la dent morte pour épargner les trente-et-une quenottes vivantes ? Qu’en pense le docteur Corbin ? Dans le cas où cette douloureuse extraction serait indispensable, je m’inscris d’avance pour votre MOLAIRE dont je veux faire une nouvelle relique ajoutée à ma collection. Vous voilà, quel bonheur !!!!!!!!!a
Je suis ravie que tu conserves ta dent, dût-elle être [illis.] moi. Ce que j’en disais plus haut n’était que dans le cas où tu aurais été forcé par la nécessité de t’en séparer. Je suis également très contente de ta solution Marquand. Pourvu, comme tu le dis, que je ne me mêle à aucun COMMÉRAGE [1], je ne fais objection à rien. En ce qui te concerne je n’ai pas cette outrecuidance dont tu te moquerais avec raison. Si j’avais sur vous quelque influence, je l’emploierais à vous attirer ici pour y travailler, pour vous y reposer et pour y vivre. N’ayant pas celle-là, que m’importe les autres ? Je compte sur ce soir pour me ravitailler le cœur et l’âme, voire même le corps puisque nous dînerons ensemble avant de faire le post prandium [2] du soir. Jusque là je vous aime dans mon coin.
BnF Mss, NAF 16385, f. 178
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette
a) Les neuf points d’exclamation courent jusqu’au bout de la ligne.