Guernesey, 28 novembre 1857, samedi soir, 5 h. ¾
J’avais résolu de laisser la restitus au fond de l’encrier aujourd’hui, mon cher petit homme, mais la crainte que tu n’attribuesa cette sage intention à de la bouderie fait que je renonce à ma résolution c’est-à-dire à ma RAISON. Et, en effet, mon bien-aimé, à quoi pourront servir maintenant ces élucubrations sans esprit, sans jeunesse, sans sourire et sans baisers ? Autrefois mes petits carrés de papier contenaient tant bien que mal mon bonheur jour à jour, minute par minute mais à présent qu’est-ce que tu veux que j’y mette ? Ma solitude, ma maussaderie et ma stupidité ? Vraiment, ça n’en vaut pas la peine et tu en conviendrais si tu ne te croyais pas obligé à une sorte de tendresse de convention et de politesse à laquelle ton cœur ne prend aucune part et dont mon amour ne conserve aucune illusion. Je préfère t’aimer tacitement de toute mon âme que de divaguer comme une bête.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16378, f. 215
Transcription de Chantal Brière
[Souchon]
a) « tu n’attribue ».