Guernesey, 18 février 1856, lundi matin, 10 h.
Bonjour, mon doux petit Toto, bonjour, mon grand adoré, bonjour. Le ciel est bien noir ce matin mais mon cœur rayonne sous les adorables choses que tu m’as écrites sur mon livre rouge [1]. Merci mon ineffable bien-aimé, merci de ces paroles de tendresse et d’amour qui constatent notre bonheur passé et sanctifient nos espérances à venir. Ma pensée a de la peine à traduire les sentiments de mon âme, mais tu as l’habitude de deviner les hiéroglyphes de ma plume et de trouver mon cœur parmi toutes les broussailles de mon ignorance. Aussi je ne m’inquiète jamais de la tournure plus ou moins grotesque de mes phrases car je sais que dessous il y a mon amour radieux et splendide.
Je me suis levée de bonne heure ce matin et j’ai déjeuné plus tôt pour pouvoir prendre un bain l’après-midi malgré le froid aigre car j’ai absolument besoin de me tremper depuis longtemps. J’irai de bonne heure pour être revenue avant toi mais dans tous les cas je laisserai la clef du salon à Mme Boutillier pour toi et du feu allumé. À tantôt donc, mon cher petit homme, pense à moi tout en travaillant et aime moi un peu. De mon côté je te promets de t’aimer sans interruption de cœur, de pensée et d’âme.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16377, f. 63
Transcription de Sophie Gondolle assistée de Chantal Brière