Paris, 6 février [18]72, mardi soir, 9 h. ½
Journée froide, triste et insipide s’il en fut, mon pauvre bien-aimé, journée de blanchisseuse, c’est tout dire. Je viens de donner campo à mes deux servantes avec commission, chemin faisant, de voir à la ménagère s’il serait possible de retrouver les verres de notre service de table déjà beaucoup trop décomplété. Je profite de ce qu’il n’y a pas de cuisine à faire aujourd’hui pour leur donner quelques heures de grand air. Quant à moi, j’attends ton jour et ton heure ; puisse-t-il venir bientôt, car je souffre un peu de ma réclusion prolongée. Tout à l’heure je vais commencer à copier Choix entre les deux nations [1]. D’après les premiers vers que j’ai lus, je vois que tu ne nous les as pas lus encore et que je vais en avoir la primeur à moi toute seule, bonne fortune dont je suis bien fière et bien heureuse. J’ai le regret de voir que ce n’est pas long. Aussi je te prie de m’apporter tout de suite tout ce qu’il reste à copier afin que mon bonheur ne chôme pas et que tes imprimeurs n’attendent pas après moi. Je me dépêche pour profiter du reste de jour en te donnant mon cœur au galop de ma plume.
BnF, Mss NAF 16393, f. 33
Transcription de Guy Rosa