Paris, 13 septembre [18]73, samedi matin, 7 h. ¾
Je crains que tu n’aies pas bien dormi, mon pauvre grand bien-aimé, et que la question « La Libération du Territoire » [1] n’ait fort troublé ton sommeil. La chose en effet mérite que tu y apportes bien de la prudence pour toi, pour Le Rappel qui peut en mourir du coup. J’en parle un peu à la façon des aveugles des couleurs ; mais d’instinct je sens là un si grand danger que je ne peux pas retenir le cri de ma peur : aïe ! aïe ! aïe ! Tu vas voir Meurice ce matin. J’espère qu’à vous deux vous trouverez le moyen de faire passer toute cette sublime poésie à travers les mailles de l’état de siège sans en retrancher rien. Je voudrais être plus vieille de quelques heures pour connaître ce que vous aurez décidé. En attendant je viens de prévenir Mariette de tenir le déjeuner prêt pour dix heures.
J’entends que tu marches chez toi, à moins que ce ne soit la susdite Mariette. J’ai bien envie d’aller m’en assurer mais je crains de te déranger et de t’ennuyer. J’attendrai à plus tard et tu n’y gagneras rien. À ce propos, tu serais bien gentil de me donner à copier si tu as le temps de t’en occuper aujourd’hui. Mais j’y pense ; est-ce que ce n’est pas ce soir que tu donnes audition à ton nouveau Triboulet [2] ? Je ne sais pourquoi je n’ai pas confiance dans le talent de ce monsieur. Enfin tu verras bien ce qu’il faut que j’en pense. D’ici là, je me borne à t’aimer.
BnF, Mss, NAF 16394, f. 267
Transcription de Manon Da Costa assistée de Florence Naugrette