Paris, 20 août [18]73, mercredi midi
Cher adoré, je fais ce que je peux pour amadouer mes vieilles douleurs d’ici à ce soir ; mais, dans le cas où elles seraient plus fortes que mon courage, je te supplie de ne pas t’en attrister et d’être très GEAIE avec tous tes invités et en particulier avec ton Petit Victor [1], avec Petit Georges et Petite Jeanne, et avec leur vaillante et charmante petite mère. Te savoir triste loin de moi ajouterait encore à mes souffrances dont je ne suis pas maîtresse et à mes regrets qui sont déjà si grands qu’ils se changent en un chagrin véritable.
Je viens d’envoyer prévenir Mme Charles de ta part que tu avais fixé sans y penser l’heure du dîner pour ce soir à sept heures et que tu priais ton Petit Victor de manger sa soupe avant qu’on ne se mît à table. En même temps je fais reporter le laudanum dont je ne me suis pas servie, préférant m’en rapporter à la simple nature. Si le temps n’était pas si refroidi je serais allée prendre un bain cet après-midi car c’est toujours ce qui me soulage le mieux dans mes grandes crises néphrétiques. Ce n’est que partie remise et j’espère bien en prendre un demain matin. En attendant j’y supplée de mon mieux avec l’aide de mon oreiller. Pense à moi, souris-moi, aime-moi, je t’adore !
BnF, Mss, NAF 16394, f. 243
Transcription de Manon Da Costa assistée de Florence Naugrette