Guernesey 22 mai [18]73, jeudi, 5 h. du m.
Cher adoré, je t’envoie mon bonjour extra matinal pour protéger et pour prolonger ton sommeil qui doit être cette fois bien profond et bien doux après les bonnes nouvelles que tu as reçues de la main même de ton cher fils. Tu ne peux plus maintenant douter de sa guérison. Quant aux forces, c’est une question d’un peu plus ou d’un peu moins de temps que l’été résoudra plus tôt qu’on ne le croit, je l’espère, et même j’en suis sûre. Je puise cette conviction dans le besoin que j’ai de vous voir tous réunis et heureux. Cette intuition là en vaut bien une autre et je lui accorde toute ma confiance car elle m’a rarement trompée. J’espère encore que le soleil voudra bien ôter son bonnet de pluie et de brume en l’honneur de ton ascension et que tu pourras risquer ton talon par voie et par chemin sans danser pour lui. Je compte bien aussi sur une bonne et forte promenade en voiture tantôt. C’est en vue de ce bonheur là que je profite de mon insomnie pour mettre tout en ordre chez moi avant que les ouvriers ne viennent gêner mes mouvements à commencer par ceux de mon cœur que je dirige en ligne droite vers le tien que j’adore.
BnF, Mss, NAF 16394, f. 151
Transcription de Maggy Lecomte assistée de Florence Naugrette