21 juin, jeudi matin, 11 h. ½
Bonjour mon petit homme bien-aimé, bonjour ma joie, bonjour ma vie. Tu m’as attrapéea encore cette nuit, tu avais dit que tu viendrais et tu n’es pas venu et sous ce prétexte tu as refusé une très bonne occasion de bonheur. Si tu ne m’aimes plus, c’est tout simple. Si tu m’aimes encore, c’est tout bête. J’ai reçu une lettre de chez mon père. Pour ne pas te désobliger je ne l’ai pas ouverte. Je m’impose un tas de gênes niaises et ridicules pour ménager la tranquillitéb d’un amour qui n’existe que dans moi. Enfin……. c’est comme ça et pas autrement. Je suis très contrariée de donner un de mes dessins à Mme Kraft. Cependant je reconnais tellement la nécessité de l’indemniser de tous les frais de bonne grâce qu’elle a faitsc pour nous depuis un an que je me soumets à ce sacrifice, tâchant de faire contre fortune bon cœur. Jour mon petit homme chéri, jour mon amour, baisez-moi fort et longtemps car j’ai le cœur triste et je crois que vous ne m’aimez plus. Si je me trompe, vous seul le savez car vous ne faites rien pour me tirer de mon erreur non fortunée.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16334, f. 292-293
Transcription d’Armelle Baty assistée de Gérard Pouchain
a) « attrappée ».
b) « tranquilité ».
c) « fait ».
21 juin [1838], jeudi soir, 7 h. ½
Il paraît, mon cher bien-aimé, que c’est aujourd’hui que tu as sérieusement commencé la grande ŒUVRE [1] ? J’en félicite tout le monde, excepté moi, car à tous à tes chefs-d’œuvre je préfère une heure d’amour dans tes bras, ce n’est pas stupidité ni indifférence pour ta merveilleuse poésie, au contraire, mais dans un seul baiser de toi il y a tout ça, dans un regard, ton génie et ton âme. Je ne sais pas si je fais bonne contenance devant les jours tristes qui se déroulent devant moi à commencer par celui d’aujourd’hui, mais je sais que je fais tout ce que je peux pour avoir du courage et que je t’adore quand tu laisses retomber ta pensée fatiguée. Que ce soit sur mon âme, ce sera une joie bien douce que de la sentir s’abattre en moi. Je pense tant à toi, je te désire tant. J’écoute si bien avec mon cœur tous les bruits du tien que ce serait bien féroce à toi de ne pas me donner tout ce qui n’appartient pas à tes inspirations. Mon amour, mon Victor, je voudrais mourir aujourd’hui pour te montrer comme tu es aimé de moi. Jamais tu ne le sauras [bien ?] tant que je vivrai parce qu’il y a entre mon amour et ton âme des monceaux de tribulations, de fatigue et d’ennuis qui t’empêchent de voir et de sentir mon amour dans toute sa plénitude.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16334, f. 294-295
Transcription d’Armelle Baty assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Massin]