9 mai [1836], lundi matin, 9 h.
Bonjour mon cher bien-aimé. Comment vas-tu, comment va ta pauvre petite jambe ? Je suis bien malheureuse de ne pas t’avoir vu depuis hier, je me sens bien triste pour toute la journée à moins que tu ne viennes dans cet intervalle.
J’ai passé une nuit assez médiocre, et ce matin je ne me sens pas mieux, je crois que plus je me soigne et moins je vais bien. Aussi je suis toute prête à laisser tout là sans plus m’en occuper.
Je t’aime, mon Victor, je n’ai de joie que lorsque que je te vois. Quanda tu t’en vas, ma vie s’en va, je ne peux rien faire avec goût, je suis triste et découragée, tout me manque à la fois, il ne me reste que la faculté de te désirer de toutes mes forces et de t’aimer de toute mon âme.
Il fait bien beau temps ce matin. Si tu pouvais venir me chercher pour marcher un peu, il me semble que cela me ferait du bien, quoi qu’en dise le médecin. J’ai la tête en charivari, je n’ai jamais tant souffert qu’hier et aujourd’hui je ne t’ai jamais plus aimé non plus, ce qui ne m’a pas empêchée d’être la plus triste et la plus malheureuse des femmes. Si vous étiez venu, mon cher petit homme, il en aurait été tout autrement. Voyez pourtant à quoi tient le bonheur en ce monde. Cela ne m’empêchera pas, mon cher petit Toto, si vous venez tôt, de vous recevoir à genoux avec toutes sortes de CARESSES et de reconnaissances. Si vous venez tard, ce sera encore la même chose car je ne vous en aimerai pas moins.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16327, f. 33-34
Transcription d’Isabelle Korda assistée de Florence Naugrette
a) « quant ».
Lundi soir [9 mai 1836], 8 h.
Mon cher petit Saint, je voudrais bien te voir pour te dire que je t’aime, pour te baiser et puis aussi pour savoir comment on a trouvé la fameuse robe [1]. Je m’y intéresse beaucoup. Tu paraissais bien fatigué tout à l’heure et bien grognon dans le commencement mais ensuite ta petite figure s’est radoucie et j’ai été bien heureuse. Vous avez encore eu un petit accès de jalousie, vilain jaloux. Convenez que vous êtes bien bête, non mais convenez-en, voilà tout. Et puis embrassons-nous et recommençons sur de nouveaux frais, voilà le plus sage parti à prendre. Je pense avec chagrin que la présence de M. N. [2] me dépouillera de la plus grande partie de mon bonheur et de mes bénéfices. Où est donc le proverbe qui dit qu’un bienfait n’est jamais perdu ? Il n’a qu’à montrer son nez dans cette affaire-ci, il verra comme je le recevrai.
Je vous ai donné une fameuse ficelle tout à l’heure pour faire un grand coup de théâtre. Je voudrais bien savoir si vous avez réussi. Mais ce que je veux sans fin, ce que je veux sans cesse, ce que je veux toujours, ce que je veux encore, c’est toi, toi, ma joie ma vie mon bonheur.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16327, f. 35-36
Transcription d’Isabelle Korda assistée de Florence Naugrette