Guernesey, 15 décembre 1860, samedi soir, 8 h. ¼
Cher adoré, le plaisir de mon bibelot est déjà de beaucoup dépassé par le tourment de te savoir souffrant [1]. J’ai beau être sûre que cela n’a et n’aura aucune gravité, il suffit que tu souffres pour que mon âme soit triste et que toute gaieté s’éteigne en moi instantanément ; aussi juge avec quelle anxiété j’épie toutes les petites oscillations de ta santé. Ce soir j’ai remarqué avec bonheur que tu n’avais pas toussé une seule fois pendant deux heures. De plus il m’a semblé que tu avais le timbre de la voix parfaitement clair et sonore. J’espère, mon doux adoré, que d’ici à deux ou trois jours il n’y paraîtra plus, pourvu que tu ne fasses aucune imprudence, pas même d’aller ce soir chez Kesler quelle que soit son insistance. À moins que tu ne voies que cela ne contrarie trop tout ton monde chez toi auquel cas, mon pauvre adoré, il faudra redoubler de cache-nez et de pardessus et ne pas veiller trop tard à cause de ton sinapismea et de tes gargarismes indispensables. Pauvre cher adoré, je crois que je n’aurai personne ce soir et j’en suis bien contente car cela me permettra de te soigner à mon aise uniquement et attentivement et avec toutes les tendresses de mon cœur et de mon âme. Pour te dispenser de parler je lirai du Louis Blanc tant que tu voudras. En attendant, je me dépêche de te donner une bonne petite provision de caresses et de baisers pour te guérir cette nuit.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16381, f. 321
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette
a) « cinapisme ».