Guernesey, 24 février [18]73, lundi soir, 5 h. ¾
Jour de bain, jour de blanchisseuse, jour d’embêtement, Jour de Dieu, jour d’amour et jour de bonheur. Tout cela, mon adoré, fait que j’arrive à t’écrire à tâtons au lieu de t’écrire dès patron-minette comme j’en ai l’habitude tous les matins. Je t’ai entraperçua à huit heures trois quarts au moment même où j’allais entrer dans le bain. Cette petite seconde de joie a suffi pour éclairer et pour illuminer toute cette sombre et ennuyeuseb journée. Merci, mon adoré, de me l’avoir donnée, tu n’as pas obligé une ingrate ! Fiche-toi le dans ton grand cœur. J’espère que tu n’iras pas errer sous la pluie ce soir et que tu viendras un peu plus tôt que de coutume. Cela est d’autant plus nécessaire qu’il y a des curés [1], des beignets, des crêpes et des Zaricots, enfin un festival complet mais il faut que tu sois arrivé le premier pour que j’aie le temps de t’embrasser depuis tout jusqu’à tout avant que les cléricaux ne soient là. Décidément je finis par ne plus voir où je mets mon griffonnage. Pourtant je m’épêche comme un pauvre vieux chien qui flaire son maître. Ma foi je m’arrête faute de jour et de chandelle. Je te dirai le reste tout à l’heure entre quatre zyeux.
BnF, Mss, NAF 16394, f. 53
Transcription de Maggy Lecomte assistée de Florence Naugrette
a) « entreaperçu ».
b) « ennuise ».