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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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1er mars [1847], lundi soir, 6 h.

Je ne veux pas qu’on me rie au nez sans me dire pourquoi. D’abord, parce que c’est impertinent, ensuite, parce que je veux rire avec vous quand l’occasion s’en trouve, quand bien même ce serait à mes dépensa. Vous voyez que je ne suis pas très exigeante et que vous auriez bien mauvaise grâce à me refuser. En attendant, je ne ris pas, tant s’en faut. Cela viendra peut-être ce soir quand vous serez là, mais en attendant je garde mon sérieux et ma morosité. Cela n’a pas d’inconvénient puisque tu n’es pas là et que tu ne le vois pas. Je viens d’écrire à Eugénie [1] pour l’inviter à voir Ruy Blas [2] demain si on le donne demain, ce qui n’est rien moins que sûr avec le guignon qui me poursuit en toute chose. Je ne veux pas me porter malheur moi-même. J’aime mieux espérer et me confier à la bonne chance pour voir si cela me réussira mieux. Cher petit bien-aimé, autant mes gribouillis sont vides d’idées, autant mon cœur est plein de tendres et de douces choses. Seulement, comme je ne sais pas cacher ce qui m’attriste, je m’emploie à ne rien dire du tout qui puisse prêter à ma pensée la facilitéb de sortir de mon cerveau, toute maussade qu’elle est. Ainsic, plus je suis stupide dans mes gribouillis, plus j’ai la tête à l’envers et plus mon cœur est plein de toi. Il faudrait, pour que tu ne t’en aperçoives pas, que je ne t’écrive pas. J’y ai déjà songé plus d’une fois mais tu t’y es toujours refusé. Cependant tu n’y perdrais rien de mon amour et tu y gagnerais de ne pas lire un tas de jérémiades insipides. Ce serait tout profit, il me semble. Pourquoi donc ne veux-tu pas ? Enfin tu as tes raisons pour cela probablement mais je te plains dans l’âme de t’imposer une pareille pénitence. Quant à moi, je crains que cela ne finisse par te dégoûter de moi, ce qui ne contribue pas peu à redoubler mon ineptie et ma tristesse. Je n’en veux pour exemple que ce gribouillis même qui est bien le plus stupide que j’aie jamais fait et pourtant je t’aime de toutes mes forces.

Juliette

Harvard
[Barnett et Pouchain]

a) « dépends ».
b) « faciliter ».
c) « ainssi ».

Notes

[1Eugénie-Constance Drouet (22 juin 1816 - c. 22 octobre 1850) est la fille de la tante maternelle de Juliette Drouet, Françoise Marchandet.

[2Le 1er mars 1847, Frédérick-Lemaître joue dans Ruy Blas au Théâtre de la Porte-Saint-Martin.

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