Paris, 8 avril [18]77, dimanche, midi ¼
Cher bien-aimé, sois béni, je t’aime. Je ne me lasse pas de te le dire, pas plus que mon cœur ne se lasse de le faire. Je t’aime, je t’aime, je t’aime.
Le temps est si beau ce matin qu’il est impossible de ne pas regretter de n’en pouvoir pas profiter à la minute même. Mais, dès que tu seras sorti de ton puits à merveilles, il faudra me rabibocher [1] d’air, de soleil, de printemps, de joie et de bonheur. Car voilà plus de six mois que je suis à sec de toile [2] de toutes ces bonnes choses-là. En attendant, nous allons passer une bonne soirée avec tes incomparables amis Paul Meurice et Vacquerie, complétés de l’excellente madame Lefèvre et de ses petits-fils. Ils t’aiment et ils t’admirent si sincèrement tous que je les aime de t’aimer ainsi. J’ai tant d’amour dans le cœur et dans l’âme pour toi que ce n’est pas trop de l’amour universel et de l’admiration générale pour y faire contrepoids. Si on était sûr d’être tout à fait entre soi ce soir, après dîner tu pourrais nous donner la fête de t’entendre lire quelques nouveaux chefs-d’œuvres de L’Art d’être grand-père. Malheureusement il n’est que trop probable que nous ne serons pas seuls et que nous en serons pour notre désir rentré, ce à quoi je me résigne d’avance en t’adorant encore plus, si c’est possible.
BnF, Mss, NAF 16398, f. 99
Transcription de Guy Rosa