17 janvier [1847], dimanche soir, 10 h. ½
Ô pense à moi, mon doux bien-aimé, afin que je le sente et que ta douce joie au milieu de ta ravissante famille, de tes bons amis et de tes admirateurs ne se change pas pour moi en amertume et en chagrin. Pense à moi dont tu es la vie et l’âme. Pense à mon amour si profond, si pur et si dévoué et regrette-moi. Je vais me coucher en priant Dieu pour toi et pour tous les tiens. Hélas, j’espère que mes prières ne seront pas stériles car je demande ton bonheur et le leur au prix de ma vie. Si tu savais comme j’ai besoin de te savoir heureux, mon adoré, autant presque que de me savoir aimée par toi. Je t’aime, je t’aime, je t’aime plus que tout au monde. Jouis de ton succès ce soir, mon Victor, jouis de ta beauté, de ton génie et de ta charmante famille, j’en serai fière et heureuse moi-même pourvu qu’au milieu de tout cela tu ne m’oublies pas.
J’ai vu M. Vilain un moment ce soir. Je te dirai ce qu’il n’ose pas te demander et ce que je lui ai promis de te demander pour lui et ce que je suis bien sûre que tu feras avec ta bonté accoutumée. Ce serait une petite lettre à M. Cuvillier-Fleury pour le remercier de sa bonne grâce et de ses bons procédés envers lui, M. Vilain. Il paraît que M. Cuvillier-Fleury en sera si fier et si reconnaissant que cela retombera en rosée abondante de services et de bons offices pour ce pauvre M. Vilain qui en a grand besoin. Quant à moi tu me feras personnellement une grande joie puisque ce sera une nouvelle manière de m’acquitter envers lui de sa bonne et pieuse intention envers ma pauvre fille [1]. Cependant si tu y vois le moindre inconvénient pour ta dignité tu me le diras et je n’insisterai pas. Avant tout je ne veux pas t’obséder et encore moins te compromettre. Je ne veux que t’aimer jusqu’à mon dernier soupir.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16365, f. 9-10
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette