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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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5 janvier [1847], mardi matin, 11 h. ¾

Bonjour mon ami Toto, bonjour mon adoré Toto, bonjour, qu’on vous dit et vous ? Je m’étais bien promisa de vous bouder jusqu’à ce que vous m’ayez apporté tous mes journaux [1], mais je n’ai pas de cœur et je ris avec vous tout de même comme si de rien n’était et comme si vous n’aviez pas manqué gravement à votre devoir depuis plusieurs jours. J’espère que vous n’abuserez pas de ma longanimité et que vous vous empresserez de réparer vos torts en m’apportant tout mon arriéré [2] et en me donnant le fameux et tant désiré Savarin [3]. J’y compte plus que je ne puis dire et j’ai fait partager mon espoir à des jeunes filles [4] qui ne l’oublierontb pas, je vous prie de le croire, sans en excepter M. Vilain et Eugénie que cette bonne fortune réjouitc d’avance.
Avec tous ces espoirs-là vous me faites la part du bonheur présent bien petite et bien chesse et il faut plus que du courage et de l’espoir en un meilleur avenir pour m’en contenter. Il faut tout l’amour que j’ai pour vous, qui remplit tous les vides que fait votre absence dans ma vie, pour ne pas jeter le manche après la cognéed [5] mille fois par jour. Je t’aime, je t’aime, je t’aime. Avec cela je trouve moyen d’arriver au bout de ma journée sans trop de tristesse et de découragement.
Pauvre doux adoré, je suis bienvenue à me plaindre quand tu travailles sans relâche jour et nuit. Quand j’y pense j’ai honte de moi-même et je suis prête à te demander pardon à genoux. Je ne veux pas que tu t’arrêtes une seule minute à mes plaintes et à mes grogneries. Dis-toi ceci pour te tranquilliser, que : je suis trop heureuse que tu te laisses aimer par moi et que tu m’aimes un peu. Le reste serait du luxe et presque du superflu qu’on peut bien avoir de temps en temps mais qu’il serait fou d’espérer tous les jours. Hélas ! c’est cependant bien bon et bien nécessaire le superflu, pourquoi faut-il qu’il soit de plus en plus rare pour nous ? Dieu seul le sait et le veut ainsi. Mais ça n’est pas très drôle.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16365, f. 1-2
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « promis ».
b) « oublierons ».
c) « réjouissent ».
d) « coignée ».

Notes

[1Conformément à leur « pacte », Juliette Drouet n’est autorisée à lire que les journaux que Victor Hugo lui apporte.

[2Ce qui reste dû, ou travail en retard.

[3Gâteau rond et creux, en forme de couronne, arrosé de rhum.

[4Ce sont les deux filles de Mme Rivière, qui rendent fréquemment visite à Juliette Drouet. L’aînée, Louise Rivière, était une amie de Claire Pradier.

[5Se rebuter par découragement, par dégoût.

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