Paris, 17 février 1880, mardi matin, 7 h ½
Cher bien-aimé, à l’inversea des nuits qui se suivent et ne se ressemblent pas, témoin celle d’hier, excellente, et celle d’aujourd’hui, mauvaise, les anniversaires de notre amour se suivent depuis quarante-sept ans et se ressemblent tous car je t’aime aujourd’hui autant, si non plus, que le premier jour où je me suis donnée à toi, corps, cœur et âme pour cette vie terrestre et pour l’éternité. Je viens de relire l’adorable page que tu m’as écrite hier dans mon cher petit livre rouge [1] et que je croirais dictée par moi tant elle dit bien tout ce que j’ai dans le cœur. Ta foi en l’autre vie est la mienne. Ton espérance d’être réunis dans la mort comme nous le sommes dans la vie, je la partage. Et je m’efforce de la mériter en t’aimant du sublime amour des anges pour Dieu. Sois béni, mon grand bien-aimé, dans le passé, dans le présent et dans l’avenir éternel. Je t’adore.
Pendant que je t’écris on m’apporte la première distribution des lettres et des journaux et voici ce que j’y trouve tout d’abord : une lettre de Jules Ferry t’annonçant que, sur ta demande, il vient d’accorder bourse entière dans un lycée au jeune Baud, fils d’une receveuse des postes. Côté de l’Officiel [2] : Sénat : ordre du jour : réunion dans les bureaux à deux heures et séance publique à trois heures. Sommaire des questions à traiter : le même que celui d’hier, ainsi que tu pourras t’en convaincre en le lisant toi-même à l’Officiel. Le temps lui-même est au laid fixe depuis hier et semble vouloir y rester. Moi je t’adore immuablement et voilà.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16401, f. 49-50
Transcription de Blandine Bourdy et Claire Josselin
a) « l’inverses ».