Paris, 27 juin [1880], dimanche matin, midi
Cher bien-aimé, j’ai voulu profiter d’un jour où j’étais sûre de n’avoir pas besoin d’être prête à t’accompagner à heure fixe pour prendre un bain et me peigner à fond ce que j’ai pu faire aujourd’hui dimanche. Mais ce petit soulagement donné à mes nombreuses misères ne m’empêche pas de sentir l’ennui de savoir que tu passes presque toutes tes nuits sans dormir. Ton hygiène me paraît bien insuffisante puisqu’elle ne peut même pas de te donner un sommeil régulier. Moi qui fait profession de n’en avoir pas, d’hygiène, je suis aussi mal lotie en sommeil que toi. Alors à quoi bon ? En attendant que tu me prouves son utilité, je constate avec bonheur une amélioration dans le temps. Je le constate, surtout pour toi, mon cher petit homme, qui aimes le soleil autant que le poisson aime l’eau. Quant à moi je l’aime modérément et je pourrais au besoin m’en passer tout à fait, ce n’est pas comme mon amour pour toi qui est toute ma vie même et l’âme de mon âme.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16401, f. 174
Transcription d’Emma Antraygues et Claire Josselin