Paris, 25 juin [1880], vendredi matin, 8 h.
Cher bien-aimé, je crains que ta nuit n’ait pas été meilleure que l’autre, si j’en juge d’après les plaintes confuses que j’entendais dans ta chambre chaque fois que je prêtais l’oreille. Je me suis levée pour aller à ton aide si tu en avais besoin mais, arrivée près de ton lit, il me semblait que tu dormais et j’ai hésité à te réveiller sachant par moi-même que le sommeil agité vaut encore mieux que pas de sommeil du tout. J’ai ouvert et refermé comme d’habitude ta fenêtre ce matin et je t’ai baisé très doucement pour ne pas troubler ton petit somme. Tout à l’heure je me suis rencontrée avec ton cher Petit Georges, qui m’a demandé s’il pouvait amener à dîner ce soir un de ses amis de la pension. Tu penses avec quelle tendresse je lui ai répondu que oui à cet aimable et doux enfant. Donc la table se composera ce soir de cinq mioches charmants et de cinq PERSONNES, non moins charmantes, et autre, comme dit le bon Lesclide, qui en sera. Une lettre du président de la République qui t’apprend qu’il a envoyé au Ministre de la Marine et des colonies un recours en grâce apostillé par toi du sieur Crépet. N’oublie pas qu’il y a Sénat tantôt à deux heures, et souviens-toi, surtout, que je t’adore.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16401, f. 172
Transcription d’Emma Antraygues et Claire Josselin