Paris, 29 janvier 1880, jeudi matin 8 h.
Cher bien-aimé, je commence ma journée par le commencement : restitus en tête, menant avec elle celle d’hier qui était restée en arrière à mon cœur défendant et contrit.
Aujourd’hui, je prends les devants sans me laisser attarder aux bagatelles du rhume, de ses quintes et de ses tutti quanti de mouchoirs, du mal de tête et de gorge qui alternent à qui pire pire. Et quel temps ! Pluie, vent, ténèbres, à ne pas distinguer son pied gauche de sa main droite.
Ce qui n’empêchera pas le Sénat de sénater à deux heures tantôt en séance publique. Ce qui n’empêchera pas non plus que j’arriverai pieds nus dans l’année 1881 grâce aux barrages que tu me fais chaque fois que j’essaye d’aller aux magasins du Louvres, ou autre, comme dirait Lesclide s’il avait voix au chapitre [1]. Mais qu’importe, puisque cela ne m’empêche pas d’être déjà très heureuse de la pensée de la chère petite lettre annuelle que tu m’écriras bientôt [2]. En attendant je t’aime, je t’aime, je t’aime et je te souris et je te bénis avec tout mon cœur et toute mon âme, cher adoré que Dieu me garde à toi le plus longtemps possible dans cette vie, et éternellement dans l’autre.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16401, f. 29-30
Transcription de Blandine Bourdy et Claire Josselin